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Chroniques
Arabella Steinbacher joue Offertorium de Sofia Goubaïdoulina
Christoph von Dohnányi dirige l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
Au commencement de l’Offertorium de Sofia Goubaïdoulina, le thème royal de l’Offrande musicale vagabonde parmi les cuivres. Puis, à l’instar d’un raga courant après l’alap au fil infiniment chantourné de la gamme, effiloche son chromatisme en longues variations tendues. Cela commence d’un trille du violon, dont le velouté contraste avec les écroulements orchestraux jusque dans l’ultra grave. Cloches et harpes tissent un tapis lyrique sous l’intensité de jeu de la soliste, qui dissèque le thème avec une implacable fluidité.
Le son de velours d’Arabella Steinbacher est plein, l’engagement sans faille. L’orchestre, sur un très précis crescendo, sombre en un murmure de foule vague, infiniment bruissante du chant des mondes, grosse bête haletante, envolée lacustre, paysagé comme les nuits chantées par le violon en son registre aigu. Longs accords de cloches auquel, avec des accents de triangle, répond le soliste. Le son du tutti libère la belle ampleur cuivrée d’une descente chromatique. Dans le grave des pizzicati et la scansion tourbillonnante des percussions, la violoniste suscite une brume liquide. Recitativo, sur une gamme descendante au métallophone. Le son de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris se fait sec, tourbillonnant, toujours précis. L’aboiement des trompettes répond à l’expression sauvage, ascétique et sensuelle tout à la fois d’un violon fait Shiva dans la transe des mondes. Assoiffé d’espace sonore, lyrique, rond et plein, un son tzigane, puis tendre, explore les gammes. Cloches, piano, tuba, l’orchestre renchérit, voluptueusement sombre.
Chambristes sous la baguette de Christoph von Dohnányi, il joue de longues mesures avec le concertino. Toujours fluide, dénué de tout sentimentalisme, mais non sans sentiment, il laisse s’exprimer un lyrisme contenu, comme affairé, traversé furtivement de descentes en pizzicati doublées de notes piquées au piano. Obstinée, une phrase au violoncelle annonce le retour du violon en gammes alternées, montantes et descendantes, cellules tressées en marches d’harmonie. Les pupitres se font mafflus, traversés d’accords secs et impérieux. Après un accord coruscant, le jeu des gammes ascendantes laisse place à un récitatif distordu de glissandi avant que les accents d’oiseau d’une flûte n’annoncent un nouvel écroulement. Alors, au moment où la partition s’apaise, surgit une émotion porté par un violon à fleur de notes, ancré dans l’épaisseur vive d’une diction toute simple, dans l’infinie tendresse d’un dialogue avec les vents, soutenu des pupitres de cordes en sourdine. Et sur le pianissimo d’une moire divine, le violon s’évanouit dans l’aigu, nous laissant retournés.
Un bis d’Arabella Steinbacher clôt la première partie de concert d’une bouleversante page de Johann Sebastian Bach, infinie de simplicité, de présence et de justesse. On n’en dira pas plus.
Il était inévitable que la Symphonie en mi mineur Op.64 n°5 de Piotr Ilitch Tchaïkovski paraisse un peu fade après tant de merveilles. Le son très en pâte qu’impose Christoph von Dohnányi à l’orchestre installe un climat robustement romantique, beethovenien par instant. Sa réserve reste très agréablement maîtrisée – les mezzo forte sont notamment toujours étonnants de justesse. Le lyrisme est contenu, quand bien même la partition rendrait inévitable l’écrasement de certaines parties sous la vitalité des accords. Le cor mahlérien et la très grande qualité du basson marquent l’Andante cantabile, d’un lyrisme plus échevelé sur sa fin. Et le basson encore, à l’Allegro moderato de la Valse, impressionne de rondeur et de musicalité. L’Andante Maestoso final conclut sur une cavalcade alerte et joufflue un travail de très belle facture.
MD