Chroniques

par michèle tosi

Présences Wolfgang Rihm – épisode 5
création mondiale de Fantaisie-concert pour alto de Graciane Finzi

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 15 février 2019
Alejo Pérez dirige le Chœur et l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© matthias baus

La musique de Wolfgang Rihm, tête d'affiche du festival Présences de Radio France [lire nos article des 12, 13 et 14 février 2019], mais aussi celle de Berio et la création mondiale d’un opus de Graciane Finzi, invitant sur le devant de la scène l'altiste Marc Desmons, sont au programme de cette deuxième soirée d'orchestre [lire notre chronique de la veille] – il y en aura trois – qui mobilise le Chœur de la maison ronde et les forces du Philharmonique, sous la conduite d’Alejo Pérez [lire nos chroniques du 11 avril 2006, du 17 octobre 2012, du 16 février 2013, du 17 mars 2015 et du 16 octobre 2016].

L'atmosphère est sombre et l'écoute recueillie dans De Profondis (Psaume 130) pour chœur et orchestre de Rihm, écrit en 2016, qui débute le concert en mode ténébriste. Ni dolorisme ni pathos pour autant, dans cette œuvre très concentrée – le Chœur de Radio France est exemplaire – qui ménage des plages de silence éloquent. Le texte syllabique est plus déclamé que chanté, appelant les commentaires de l'orchestre dont l'écriture solistique déploie une large palette de couleurs, ainsi ces graves somptueux des cuivres qu'aime le compositeur. On va les retrouver dans sa deuxième pièce au programme, In-schrift 2 (2013), l'une des partitions les plus étonnantes de cette édition 2019 où le compositeur entend écrire l'espace. Nous revient toujours en mémoire cette phrase prophétique de Berlioz : le dispositif original des instruments est garant de nouveauté en matière d'écriture orchestrale. Celui d’In-schrift 2 est plus que singulier. L’Allemand convoque six cors et privilégie les tessitures graves (violons et altos sont exclus) qu'il répartit sur la scène de manière totalement atypique. Six clarinettes sont dans les étages ainsi que des percussions, démultipliant l'espace et sa profondeur. L'expérience d'écoute est fabuleuse autant que déstabilisante, Rihm pratiquant des associations de timbre risquées et une écriture très éclatée dont les couleurs et les trajectoires dans l'espace ne sont pas sans rappeler celles de Rituel de Boulez.

Troisième dame invitée depuis le début du festival – il y en a cinq, en tout et pour tout –, la compositrice Graciane Finzi aime les formes concertantes. À son catalogue s'inscrivent déjà un concerto pour violon, un pour piano et deux pour violoncelle. C'est pour Marc Desmons, premier alto solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France (et aussi chef) [lire nos chroniques du 28 octobre 2016 et du 13 juin 2015] qu'elle écrivit sa Fantaisie-concerto, une pièce d'un seul tenant où le soliste est toujours très en dehors. La thématique d'essence chromatique laisse apprécier la sensualité du timbre, au fil d'une promenade (le rythme en est très mesuré) renouvelant les paysages de l'orchestre : ondoiement des clarinettes, fluidité et transparence des textures offrent un écrin sensible à la partie soliste, en appelant à l'hédonisme du son plus qu'à sa dramaturgie. La cadence concédée in fine renoue avec la tradition, mais la cinétique du motif lancé par l'alto assure une sortie de scène du plus bel effet.

Changement de plateau oblige (la régie s'y emploie avec dextérité) pour Formazioni (1985-87) de Luciano Berio, une œuvre rarement inscrite au programme (statistiquement tous les quinze ans), réclamant, on l'aura compris, un dispositif scénique exigeant, avec des hiérarchies internes inhabituelles entre pupitres (cordes et vents se coudoient) et une géographie orchestrale atypique (les instruments graves sur le devant, les plus aigus vers l'arrière) : en bref, un nouvel instrument à la hauteur des perspectives sonores du compositeur, qui bouleverse les réflexes du chef comme ceux des interprètes. Les relais de pupitres sur la même note, dans les premières minutes, ciblent d'emblée les intentions de Berio, portées sur le son, sa couleur, son énergie, ses allures et sa circulation dans l'espace. La notion de ligne mélodique y est pratiquement absente, au profit de la trame, de son entretien par notes répétées et de ses transformations (granulation, hybridation, utilisation de flûtes à coulisse, etc.). L’Italien sculpte un son et un espace à sa convenance dont le chef argentin et les musiciens du Philhar’ restituent au mieux la nature et les aléas, entre manifestations de puissance et écriture solistique.

Voilà une soirée pleine de découvertes et d'inattendus dont il faut saluer l'initiative – l’occasion nous en est offerte par Radio France qui passe outre l’inexplicable blacklist de l’agence en charge du service de presse du festival [ndr] – et que l'on doit à l'engagement des musiciens, choristes et instrumentistes, galvanisés par une direction experte.

MT