Chroniques

par laurent bergnach

Violanta
opéra d’Erich Wolfgang Korngold

operavision.eu / Teatro Regio, Turin
- 28 mars 2020
Pinchas Steinberg joue "Violanta" (1916), opéra de jeunesse de Korngold
© edoardo piva | teatro regino torino

Confinement sanitaire oblige, tout critique musical fut obligé de rayer de son agenda un certain nombre de spectacles dont il pensait rendre compte dans la seconde moitié de mars. Quel que soit son degré d’addiction à la scène vivante et à l’opéra en particulier, chacun finit par trouver le temps long, puis commence à chercher des solutions pour calmer le manque. Le streaming est un ersatz intéressant quand il permet de dénicher des ouvrages rares et méconnus, comme cette Violanta (1916) donnée en première italienne au Teatro Regio de Turin, du 21 au 28 janvier dernier. Merci à OperaVision, plateforme en lien avec une trentaine de partenaires, de permettre cette découverte – gratuitement, qui plus est !

L’histoire se passe à Venise, au XVe siècle. Le carnaval bat son plein, jusque dans la maison d’un haut militaire de la République, Simone Trovai. De retour chez lui, ce dernier découvre des soldats qui s’amusent et les renvoie à leur poste. Il est d’autant plus énervé par ces fêtes « immorales », auxquelles il ferme sa porte d’ordinaire, que sa femme Violanta est introuvable. À Giovanni Bracca, un peintre qui tente de le dérider, il explique comment sa belle-sœur, novice d’un couvent, fut séduite par le Prince Alfonso qu’on dit actuellement en ville. Prise de remords, elle s’est ensuite jetée à la mer. Violanta rentre à son tour. Elle raconte à son époux qu’elle a retrouvé Alfonso, entouré de femmes, comme à son habitude. Se faisant passer pour une artiste de théâtre, elle lui a donné rendez-vous ici-même, avec un plan pour venger la mort de sa sœur : lorsque Simone entendra la chanson Sortis des tombes, même les morts aujourd’hui dansent enlacés, il devra bondir et occire le prince. Malgré la peur de faire couler le sang d’un fils illégitime du Roi de Naples, Trovai accepte, ne souhaitant pas que sa femme s’éloigne de lui d’avantage.

L’attente commence et Violanta l’occupe par quelques moments auprès de sa vieille nourrice, Barbara. Alfonso arrive enfin, avec en bouche une chanson célébrant la jeunesse dorée. Très vite, il veut réentendre celle que Violanta lui a fredonnée dans la rue. Elle lui avoue alors que cette chanson est devenue un signal pour la mise à mort de l’homme abject qu’il est. Le prince se confie : il craint moins la mort que l’humiliation ou la solitude. Orphelin de mère, ignoré par son père, il est assoiffé d’amour. Touchée par sa douleur, elle refuse de chanter et le chasse en vain avant de révéler son secret : elle le désire depuis la première fois qu’elle l’a vu. Les voilà chacun au terme de leur quête : lui trouve en elle un pur amour, cherché toute sa vie ; elle, servante d’un froid devoir qui exclue l’instant présent, trouve en lui l’ardente promesse du plaisir jamais connu. Violanta chante enfin et, son époux venu, avoue son amour coupable. Se sentant tourné en dérision, Simone veut frapper tout de même. Elle s’interpose, reçoit un coup fatal et meurt heureuse, dit-elle, libérée du péchée et de la volupté.

À l’été 1914, à peine achevé son premier ouvrage lyrique, Der Ring des Polykrates, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) en commence un nouveau, en un acte lui-aussi, afin d’occuper toute une soirée d’opéra. Le choix et l’adaptation du livret se font en collaboration avec Hans Müller, un ami de la famille. La première a lieu le 28 mars 1916, au Nationaltheater de Munich, sous la direction de Bruno Walter. Dans la biographie qu’il consacre au Viennois aux Éditions Papillon [lire notre critique de l’ouvrage], Nicolas Derny écrit de ce chef-d’œuvre aussi incontournable que Die tote Stadt (1920) : « la complexité de la partition, écrite par un jeune compositeur de dix-sept ans, place Violantaprès des œuvres lyriques les plus opaques de Richard Strauss, à qui Korngold est trop souvent comparé, en sa défaveur d’ailleurs ».

À Turin, également en charge des décors et costumes, Pier Luigi Pizzi rend crédible le coup de théâtre amoureux au sein d’un huis-clos rouge comme la passion. Le boudoir-salon Années folles s’ouvre sur la nuit grâce à une immense ouverture ronde derrière laquelle glissent juste les gondoles nécessaires. Trois soprani brillent par leurs qualités : ampleur d’Annemarie Kremer (rôle-titre), abattage de Soula Parassidis (Bice) et santé d’Eugenia Braynova (Première servante). Si l’on excepte Cristiano Olivieri (Premier Soldat), instable, les ténors sont tout aussi admirables : Norman Reinhardt (Alfonso) possède un chant souple et agile [lire nos chroniques de Gloriana, Norma et Ecuba], quand Peter Sonn (Bracca) séduit par la puissance et Joan Francesc Folqué (Matteo) par la clarté. Anna Maria Chiuri (Barbara) et Claudia De Pian (Seconde Servante) sont des mezzos efficaces, tout comme les barytons Michael Kupfer-Radecky (Trovai), vaillant et crédible [lire notre chronique de Salome], et Gabriel Alexander Wernick (Second Soldat), charismatique. Avec une certaine tendresse que cultive aussi le Chœur maison, Pinchas Steinberg veille à ne pas couvrir les voix.

LB