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Chroniques
Semiramide | Sémiramis
melodramma tragico de Gioachino Rossini
Après Hugo de Ana en 1992 et 1994, puis Dieter Kaegi en 2003, c’est Graham Vick qui s’attelle, cette fois, à cette troisième production de Semiramide à Pesaro, en quarante ans d’existence du Rossini Opera Festival. Si l’on se souvient des quelques vives protestations du public en 2003 pour la mise en scène qui installait l’intrigue dans un centre de contrôle ressemblant à Cap Canaveral, la vision d’un ours en peluche bleu géant n’émeut aujourd’hui plus grand monde, le Regietheater ayant rayonné sur à peu près toutes les scènes ces deux dernières décennies.
L’élément principal des décors de Stuart Nunn [lire nos chroniques d’Ipermestra et de Die Zauberflöte] est la peinture d’un regard de personne âgée sur de grands panneaux amovibles, le verso montrant des dessins d’enfant : une jeune fille tenant un couteau ensanglanté sur une partie, de l’autre un roi assassiné par celle-ci. L’interprétation reste ouverte, on pense d’abord à Semiramide commettant le meurtre de son époux Nino, mais aussi peut-être à Arsace qui cauchemarde, en prédiction du meurtre de sa mère, plus tard. Surtout que l’Arsace du soir n’est pas représenté en vaillant guerrier mais en femme à talons hauts et veste largement ouverte sur un soutien-gorge. Oroe est un Sadhu à longue barbe, dont les acolytes entrent parfois en transe et frappent le sol des mains à chaque manifestation de l’Ombre de Nino, tandis qu’Assur est encadré par ses gardes du corps à oreillettes pour ses déplacements.
À l’entrée en scène de Semiramide, un enfant repose dans un lit sur la droite du plateau, Arsace s’y réfugiant en fin de premier acte en serrant son nounours, puis la reine, avant la conclusion de l’opéra. Quant à l’ours en peluche géant, il apparaît pendant le grand air du rôle-titre à l’Acte I, Bel raggio lusinghier, tandis que les femmes pouponnent leur bébé dans les bras. Une photo à laquelle on a déchiré le regard descend des cintres pour le premier final, visage ressemblant (cela n’engage que nous) à celui d’Alberto Zedda, chef d’orchestre et musicologue disparu en 2017, spécialiste rossinien de sa génération qui fut à la création du festival en 1980.
Dessinant une architecture solide et variant aussi les effets, la direction musicale de Michele Mariotti [lire nos chroniques de Zingari, Guillaume Tell, La traviata, Les Huguenots à Berlin puis à Paris, Semiramide, La forza del destino, La donna del lago et L’Italiana in Algeri] est un bonheur constant, parfaitement suivi par les musiciens de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI. L’ampleur instrumentale est bienvenue dans les grands ensembles, mais le chef reste toujours attentif aux solistes sur le plateau. Quelques attaques de cordes sont pleines de fougue et certains tempi fortement marqués, des ralentis puis des accélérations toujours bien choisis. Les choristes du Coro del Teatro Ventidio Basso remplissent leur office, avec finesse dans la nuance piano mais moins de charme dans le son collectif lorsqu’ils chantent à pleine voix.
En ce qui concerne la partie féminine de la distribution, le Rossini Opera Festival a réuni deux des meilleures belcantistes du moment. Dans le rôle-titre, le soprano géorgien Salome Jicia est une technicienne aguerrie, d’un timbre très expressif dans son émission. La voix est homogène sur toute l’étendue et le volume tout à fait adéquat à cette salle d’un grand volume [lire nos chroniques de Mitridate, Torvaldo e Dorliska, La clemenza di Tito et La traviata]. Avec le mezzo Varduhi Abrahamyan en Arsace, on entre encore davantage dans l’âge d’or du chant rossinien [lire nos chroniques de Rigoletto et de Semiramide]. L’abattage impressionne sur les passages d’agilité, alors que le timbre fait entendre parfois quelques sonorités masculines dans le registre grave... même si l’apparence visuelle est ici complètement féminine ! Comme souvent avec cet ouvrage, le sommet vocal de la soirée est le long duo Semiramide/Arsace du second acte, Ebben, a te: ferisci, d’une grande densité dramatique et au cours duquel les interprètes doivent alterner douceur élégiaque et agilité à haute vitesse.
La basse Nahuel di Pierro compose un Assur d’un beau grain, fort véloce aussi dans les vocalises, peut-être toutefois un peu en manque de mordant sur quelques attaques [lire nos chroniques de Don Giovanni, Messe K.427 et de Così fan’ tutte]. Antonino Siragusa (Idreno) confirme que le cru 2019 du festival n’est pas exceptionnel pour les ténors : dans l’aigu, la voix claironne au prix d’un effort visible et le son ne séduit que rarement, mais il faut lui reconnaître une belle technique belcantiste. Les basses Carlo Cigni (Oroe) et Sergueï Artamonov (Ombra di Nino) montrent leur autorité, aux côtés du mezzo Martiniana Antonie (Azema) et du second ténor Alessandro Luciano (Mitrane).
À l’issue de la représentation, les applaudissements nourris saluent la réussite de ce travail collectif au service du chef-d’œuvre rossinien, ultime opéra de la période italienne du compositeur.
IF