Chroniques

par jérémie szpirglas

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Lorraine, Nancy
- 24 mars 2009
© ville de nancy

Dès le lever de rideau gagne un sentiment mal défini de malaise. Il n’y a pourtant, à première vue, rien de choquant dans cette nouvelle production de Rigoletto. Certes, Mariame Clément réactualise l’ouvrage : elle situe l’action à une période relativement floue (que l’on parvient tout de même à dater vers la fin du siècle dernier) et dans un lieu plus flou encore (aucune trace de Mantoue), mais tout cela est, somme toute, assez courant, ces derniers temps, dans le monde de l’opéra. N’était la couleur de leurs costumes (blanc), les courtisans pourraient être des soldats d’une phalange fasciste quelconque ; mais, là encore, on en a vu bien d’autres. Quant au Rigoletto de Tómas Tómasson, avec son visage de Boris Karloff, il prêterait plutôt à rire.

Il faut attendre le deuxième tableau du premier acte et l’enlèvement de Gilda (qui s’accompagne d’un viol collectif sur la personne de sa gouvernante) pour enfin comprendre l’origine du malaise qui, depuis, s’est durablement installé. Toute la production, les pantalons blancs à bretelles des courtisans, les signes de reconnaissance qu’ils s’échangent, les couloirs sans âme d’immeubles de rapport, les néons aveuglants, la nonchalance détachée et affichée des personnages – exception faite de Gilda et Rigoletto –, tout fait secrètement référence au chef d’œuvre du cinéma qu’est A Clockwork Orange de Stanley Kubrick. Convoquer ici le souvenir d’un film aujourd’hui encore controversé (et que des âmes sensibles hésitent toujours à visionner) est une idée audacieuse. Elle paraîtra même incongrue à certains, quand on pense au pathos et à l’émotion que l’opéra italien met constamment en avant, à l’opposé de l’ultraviolence banlieusarde, gratuite et déshumanisée décrite par le cinéaste.

Malgré la bonne volonté des chanteurs – et notamment d’Andreï Dunaev, ténor et bon comédien [lire notre chronique d’Eugène Onéguine, le 8 septembre 2008], qui incarne le Duc de Mantoue –, la référence perd toutefois une grande partie de sa force, imparfaitement soutenue par la direction de Paolo Olmi, aussi indolente que la mise en scène est brutale. À la tête d’un Orchestre symphonique et lyrique de Nancy inhabituellement pâle, Olmi a bien du mal à maintenir la cohérence du plateau : sa baguette est trop instable pour tenir le chœur et trop imprécise pour mener convenablement ses chanteurs.

On appréciera toutefois la performance pleine de grâce, de candeur et de finesse du soprano Elena Gorshunova en Gilda, ainsi que celle de Varduhi Abrahamyan, contralto sensuel avec une pointe canaille dans la voix, merveilleuse dans le rôle de Maddalena, prostituée au grand cœur. Deux voix affirmées et pleines de caractères, qui font tout le sel du célèbre quatuor de l’Acte III. À suivre également Jean Teitgen, basse puissante, saisissante de présence scénique, qui tire très bien son épingle du jeu dans le rôle de Sparafucile.

JS