Chroniques

par gilles charlassier

La donna del lago | La dame du lac
opéra de Gioachino Rossini

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 5 mai 2018
L'Opéra royal de Wallonie reprend La donna del lago de Damiano Michieletto
© opéra royal de wallonie

Pour se distinguer de La Monnaie et du Vlaamse Opera qui assument une sensibilité plus avant-gardiste, l’Opéra royal de Wallonie n'en ignore pas pour autant certains des grands noms de la mise en scène contemporaine. Coproduite avec le Rossini Opera Festival de Pesaro, La donna del lago réglée par Damiano Michieletto en témoigne. Sauvant l'ouvrage de Rossini du carton-pâte illustratif où on le confit généralement, l'Italien transpose habilement la chevalerie écossaise de Walter Scott dans la domesticité de la mémoire matrimoniale, ce qui se laisse aisément deviner avant même d’avoir pris connaissance de sa note d'intention.

Ainsi le rideau s'ouvre-t-il sur une dispute conjugale, avec renversement de vase obligé, au sein d'un vieux couple, Elena et Malcom, bien des décennies après les péripéties décrites par l'opéra de Rossini. Le portrait du roi défunt précise la source du conflit et la désillusion des nœuds amoureux. Tout le spectacle prendra l'allure d'une remémoration de la journée extraordinaire où Elena rencontra le souverain. Le double octogénaire des deux héros – surtout celui de la jeune femme – investit chacune des séquences du passé pour en éclairer les hasards et les hésitations qui auraient pu faire basculer le Destin et que le souvenir a enfermé dans la naphtaline de l'oubli. L'omniprésence de cette figurante en cheveux blancs et lunettes – qui peut vaguement faire remonter à la surface des images de l'Iphigénie en Tauride de Gluck réglée par Warlikowski à Garnier il y a une décennie [lire notre chronique du 1er juillet 2006] – valut à cette Donna del lago des bords adriatiquesle sobriquet de Nonna del lago.

Au delà d'effets parfois un peu appuyés, le procédé explore de manière intéressante les ressacs psychologiques et mnésiques. Le parti pris de l'amour secret d'Elena pour Giacomo altère la simplicité du bonheur final, d'une manière peut-être pas absolument nécessaire pour l'intérêt de cette rumination du passé, sans compter que les détails et les indices confinent parfois à une relative discrétion qui peut échapper au spectateur happé par l'efficacité du travail scénographique de Paolo Fantin, conçu au demeurant pour l’espace bien plus vaste de Pesaro. Le dispositif résume la dialectique temporelle, entre le présent intime et domestique, isolé sur le devant de la scène par des cloisons à motifs fleuris, et l'épique revécu dans une théâtralité qui, au premier degré chevaleresque que ne mendient pas les costumes dessinés par Klaus Bruns, privilégie l'expression des sentiments, mise en valeur par les éclairages d'Alessandro Carletti modulant d'appréciables tamis suggestifs.

Dans le rôle-titre, Salome Jicia affirme une vitalité remarquable qui prend parfois le pas sur une couleur vocale à laquelle toutes les oreilles ne sont pas également sensibles [lire nos chroniques de La clemenza di Tito, Torvaldo e Dorliska et Mitridate]. En Malcom, Marianna Pizzolato rend justice à la subtilité de l'écriture sans besoin de forcer la puissance pour détailler, par une musicalité irradiante, la quintessence de l'art rossinien [lire nos chroniques du 17 mai 2016 et du 23 mars 2003]. Maxim Mironov imprime une vaillance appréciable en souverain, qui n'exclut pas la sensibilité [lire nos chroniques d’Otello, Orphée et Euridice et Pierre le Grand]. Peut-être moins attendu en Rodrigo, Sergueï Romanovsky, récemment entendu en Don Carlos à Lyon [lire notre chronique du 20 mars 2018], ne dépare point et sert honorablement la vigueur du rival. Simón Orfila réserve à Douglas sa basse granuleuse [lire nos chroniques du 10 février 2018, du 13 décembre 2016 et du 26 novembre 2010]. Mentionnons encore les interventions de Stefan Cifolelli (Serano et Beltram) et de Julie Bailly (Albina) qui complètent le plateau. Préparé par Pierre Iodice, le Chœur s'acquitte honnêtement de son office. Dans la fosse, Michele Mariotti, directeur musical du Teatro Comunale de Bologne, anime avec intelligence les fragrances de la partition, encourageant les pupitres liégeois à faire vibrer la volubilité comme la ligne de chant idiomatiques de Rossini [lire nos chroniques de Semiramide et des Huguenots].

GC