Chroniques

par françois cavaillès

Così fan tutte | Ainsi font-elles toutes
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 2 juillet 2016
Mozart revu et corrigé par le cinéast Christophe Honoré à Aix : pauvret...
© pascal victor | artcomar

Avec, dès l’Ouverture, le viol d’une jeune Noire par un soldat de Mussolini, le parti pris d’une mise en scène froide, opposant les sexes par la distance ou par la violence, peuple d’êtres sans regard ce Così fan tutte bien laid. Au cinéma, les premières minutes révèlent très souvent la qualité du film entier… la relecture par Christophe Honoré du petit bijou de Mozart et Da Ponte annonce un vulgaire drame érotisé et presque déshumanisé.

Il faut faire de son mieux pour survivre à tant de gestes dégradants et à la manigance grossière faite du subtil pari proposé par le vieil Alfonso, dans un morne et désespérant décor unique au premier acte (possible quartier chaud d’une ville de garnison, en Afrique), et continuer à suivre l’élan mozartien en survolant l’amère tristesse des illustrations racistes – répétées sans vergogne, jusqu’à noircir les visages et crêper les cheveux des fiancés déguisés.

À la tombée de la nuit, une étoile brille tout de même sur ce spectacle si terre-à-terre. La grâce et le goût de l’ouvrage original paraissent oubliés, comme pour signifier que Mozart ne vit plus à Aix-en-Provence. Plus besoin de travestir ici l’un de ses opéras pourtant inépuisables. Mais demeure le trésor musical, heureusement, grâce au superbe travail, incisif, compact et simplement magique (par exemple, en soutien du magnifique trio Soave sia il vento à l’Acte I), du Freiburger Barockorchester dirigé par Louis Langrée.

Outre la belle énergie du Cape Town Opera Chorus, capable notamment de se montrer à la fois militaires et spirituels, les chanteurs rassurent divinement. À commencer par Lenneke Ruiten, soprano néerlandais dont la Fiordiligi de talent et de charme ravive la joie dans les cœurs mélomanes, avec ses airs des plus connus. Tout aussi habile à naviguer entre les courants dramatiques, Dorabella tantôt exaspérante tantôt innocente, dans la peau d’une adolescente aguicheuse et cruelle, le mezzo-soprano Kate Lindsey parvient aussi à cette excellence du chant exigée à Aix. Au sommet de l’art lyrique, on retrouve également Sandrine Piau, si vive, drôle et ravissante en Despina.

En revanche, la vilaine comédie met les rôles masculins à la peine.
Le baryton Rodney Gilfry se montre tout de même bon acteur, jeune et en verve, pour incarner un Alfonso vicieux, conçu, d’après la brochure de salle, comme « un metteur en scène brutal, il faut l’admettre, à la recherche d’une forme inédite, d’un poème érotique ». Enfin les deux jeunes séducteurs, le ténor Joel Prieto (Ferrando) et le baryton-basse Nahuel Di Pierro (Guglielmo), semblent pris au piège machiste – de pauvres garçons sous un maquillage honteux, impensable sur les scènes internationales aujourd’hui. Parfois, la beauté et la vigueur de leurs voix et de leurs corps s’en libère, dans l’entrain typique de l’opéra bouffe, ainsi dans la scène du prétendu empoisonnement. En écho, et avec quelle pertinence, nous parvient le rire du compositeur se moquant des plates turqueries françaises.

FC