Chroniques

par françois cavaillès

La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille, Paris
- 21 janvier 2024
La traviata, opéra de Giuseppe Verdi, à l'Opéra national de Paris (Bastille)
© vahid amanpour | onp

Du tout début avec, avant même le mystérieux prélude, cet immanquable regard très maquillé, étalé sur deux vastes écrans vidéo au centre de la scène, et jusqu’à son retour à l’avant-scène dès la chute du rideau sous des ovations à leur plus chaud, il ne fait aucun doute que Nadine Sierra est Violetta, l’héroïne du fameux opéra de Giuseppe Verdi, La traviata, femme seule sortie du droit chemin mais adulée comme une enfant par un très large public, depuis le succès presque immédiat de l’ouvrage créé à Venise, en 1853. De l’excellente tenue, en émission comme en projection, du rôle si ardu, exigeant trois tessitures en une voix, l’Opéra national de Paris reçoit la preuve, après le Metropolitan Opera de New York, par la jeune cantatrice étatsunienne, si impressionnante et volontaire dans les vocalises qu’elle en paraît comme amoureuse de la plastique de soprano (particulièrement lyrique et dramatique).

Pour la reprise d’un spectacle bien couru en 2019, transposition du drame bourgeois XIXe siècle vers le vide bling bling d’une petite cour abrutie aux réseaux sociaux, la distribution dans son ensemble confirme son métier. Le ténor René Barbera (Alfredo) brille dans ses airs comme un doux soleil [lire nos chroniques d’Anna Bolena et d’Adelaide di Borgogna] et le baryton Ludovic Tézier livre, en Giorgio Germont flegmatique, voire stoïque dans les duos, un récital de qualité [lire nos chroniques de La fiancée du Tsar, Les Troyens, Un ballo in maschera, Mireille, La bohème, Le nozze di Figaro, Eugène Onéguine à Toulouse puis à Paris, Werther, La dame de pique à Barcelona puis à Paris, Ernani, Don Carlo, Il trovatore, Tosca, Simon Boccanegra et Hamlet]. En effet, bien qu’entourés de comparses habiles – certains émoulus de l’Académie de l’Opéra national de Paris tels la basse Alejandro Baliñas Vieites, puissant Douphol [lire nos chroniques de L’Incoronazione di Poppea et de La scala di seta], et le ténor Maciej Kwaśnikowski, remarquable Gastone [lire nos chroniques de Salome, Tristan und Isolde à Paris et Roméo et Juliette] – et d’un chœur maison souvent savoureux, les solistes évoluent sans guère d’interaction bien sentie.

Défaut fréquent des grosses productions conçues pour l’international, le jeu et la caractérisation des personnages sont à la peine dans la mise en scène de Simon Stone qui préfère les grands tableaux festifs plutôt provocants et amusants, à coups de tournette précise et efficace [lire nos chroniques de Lear, Médée, Tristan und Isolde à Aix-en-Provence, Innocence et Die Teufel von Loudun]. Ainsi, aussi bien animés que calibrés pour l’Auditorium Bastille, les décors de Bob Cousins, tantôt réalistes, tantôt monumentaux – jusqu’au délire, telle la pièce montée du premier acte ! – partagent-ils le joli toc des costumes d’Alice Babidge, bourrés de fantaisie.

Dans un Paris contemporain, factice et frivole, Violetta apparaît... en potiche, dans la peau d’une Nadine Sierra sexy et flambeuse, à peine au delà de l’imagerie racoleuse, bardée de vulgaires textos. La vedette nord-américaine [lire nos chroniques d’Eliogabalo, Lucia di Lammermoor et Don Pasquale] trouve en la Flora du mezzo Marine Chagnon une acolyte douée en déhanchements, mais aussi en belles saillies vocales [lire notre chronique de Don Giovanni], avant d’ensorceler Alfredo – et le fond de scène de se couvrir de roses, gros plans numériques à saturation parmi d’autres, moins cyniques que grossiers. Les éclats sentimentaux du livret sont tus, pourtant cette Traviata avance encore bien, dans la force entraînante de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris placé sous la juste baguette de Giacomo Sagripanti [lire nos chroniques d’I Capuleti e i Montecchi, Carmen, Ricciardo e Zoraide, Lucrezia Borgia, Moïse et Pharaon et I puritani]. Après l’expression époustouflante de la joie de Violetta, alors jeune amante bientôt baignée des lumières mauves et bienvenues de James Farncombe, la performance vocale s’intensifie encore, avec maîtrise de la vocalise, virtuosité contrôlée et éruption finale dans une ascension assurée. C’est aussi une comédienne à saluer, passant à l’Acte II en improbable campagnarde et, à travers le puéril roman-photo de la séparation avec Alfredo, les spectateurs l’accompagnent sans alarme pour la véritable scène lyrique, à la toute fin du drame.

Enfin, dans l’emballement bien perceptible des retrouvailles trop tardives des amoureux, la représentation paraît simple et honnête en retournant à l’essence de La traviata. Émouvante à tout croire, la voix de la mourante ; romantique à souhait, le duo où les chanteurs s’épousent vraiment. Royal et génial, l’orchestre nous transporte du lit à la grande lueur blanche... Sans plus de grands artifices, un peu de foi suffit donc.

FC