Chroniques

par irma foletti

Moïse et Pharaon
opéra de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Vitrifrigo Arena, Pesaro
- 6 août 2021
"Moïse et Pharaon" au Rossini Opera Festival de Pesaro
© studio amati bacciardi

C’est seulement la deuxième fois qu’est représenté Moïse et Pharaon dans l’histoire du Rossini Opera Festival (ROF), depuis la création de la manifestation en 1980. La dernière représentation de l’œuvre à Pesaro, dans sa version originale en français créée pour le Théâtre de l’Académie royale de musique à Paris en 1827, remonte à 1997. La formidable production, restée dans les mémoires, était alors signée par Graham Vick, disparu tout récemment et à qui le ROF dédie son édition 2021 [lire nos chroniques de Paria, Semiramide, Die Zauberflöte, Stiffelio, Mitridate, Ipermestra, Le roi Arthus, Tristan und Isolde, Tamerlano, Ermione, Rigoletto et Eugène Onéguine].

On ne peut pas dire que la nouvelle production de Pier Luigi Pizzi provoque, spontanément, le même enthousiasme que celui d’il y a presque vingt-cinq ans. Le chœur est, le plus souvent, planté durablement à gauche et à droite ; les solistes utilisent régulièrement le proscénium qui passe devant l’orchestre, sans grande surprise. On redoute d’ailleurs un peu, lorsqu’à l’Acte III le couple de danseurs vient exécuter plusieurs portés juste dans le dos du chef d’orchestre, qu’un incident amène la fusion physique du ballet et de la musique… mais tout se passe bien lors de cette soirée de générale à laquelle sont invités les journalistes. Concernant le ballet du III, la chorégraphie de Gheorghe Iancu n’est pas spécialement débridée ; il ne dérange pas mais n’emballe pas non plus. Les réjouissances égyptiennes en l’honneur d’Isis donnent lieu à des mouvements de bras qui se plient, se déplient, vers le haut, vers le bas, pouvant faire penser – aux mauvais esprits ! – à des agents de circulation automobile…

Mais ce sont surtout certains choix esthétiques, le manque de concept global, ainsi que l’utilisation non toujours réussie de la vidéo, en fond de plateau, qui dérangent. La technologie de ce mur d’images permet sans doute de faire mieux qu’un vague profilé béton courbe pour figurer l’arc-en-ciel du premier acte ou qu’un triangle blanc qui grossit pour représenter le temple d’Isis. Entre bleu électrique et mauve chez les Égyptiens, les costumes jurent également avec un fond du premier acte, le plus souvent uniformément jaune. Mais on reconnaît aussi que certaines animations vidéos sont plus réussies, comme le feu et la fumée en conclusion du I ou, bien plus tard au IV, ce fond plus sobre d’une mer d’huile grise qui fait de cet acte, avec la prière bien connue Des cieux où tu résides, le plus élégant de la soirée. L’occasion était alors unique de trouver une solution au problème habituel de mise en scène pour la conclusion de l’opéra, à savoir les flots s’écartant devant Moïse et les Hébreux, mais la vision d’une bande noire entre deux parties grises à la définition graphique très insuffisante est loin de convaincre l’œil.

La partie vocale est d’un bon niveau global, bien que la question récurrente de la prononciation du texte puisse être posée, au sein d’une distribution qui ne comporte aucun interprète francophone. En tête, le Moïse de Roberto Tagliavini séduit pleinement par une voix entière et sonore, surtout dans le medium et l’aigu, avec parfois quelques graves plus sourds. La diction est de belle qualité, l’autorité du personnage paraît naturelle [lire nos chroniques d’Aida, Lucia di Lammermoor, Il trovatore, Carmen, La Cenerentola, La bohème, Manon et Norma]. C’est un chanteur de grande stature, dans la lignée de son aîné Michele Pertusi titulaire du rôle en 1997 au ROF. Par ordre d’apparition, Eliézer est Alexeï Tatarintsev, ténor au volume modeste et de timbre plutôt pincé, mais avec un extrême aigu qui se déploie bien plus généreusement. Dans la partie plus importante d’Aménophis, l’autre ténor, Andrew Owens, chante très correctement quoique sans rien d’extraordinaire, et dans un meilleur français [lire nos chroniques de Peer Gynt et de L’ange de feu]. Même si l’on apprécie sa technique rossinienne, la puissance est régulièrement couverte par l’orchestre. Dès le premier duo avec Anaï, le déséquilibre est flagrant avec Eleonora Buratto, soprano de joli timbre et de très grande ampleur [lire nos chroniques de Don Giovanni et de La bohème]. L’agilité est correcte, avec certaines redescentes plus acrobatiques, toutefois. Sans doute la puissance peut-elle poser problème dans le grand air du IV, donné avec beaucoup d’engagement, plusieurs aigus étant tirés au delà de ce que l’on attend habituellement de la charmante Anaï.

Second rôle-titre bien moins sollicité que son confrère, Erwin Schrott compose un imposant Pharaon, de timbre noble et de projection certes puissante, en enflant quelques notes de manière spectaculaire. Le chanteur est malheureusement en inconfort pour les rares passages d’agilité et sa prononciation est très inconstante, avec des moments qui prêtent à sourire [lire nos chroniques de Don Giovanni et des Vêpres siciliennes]. Quant à elle, Vasilisa Berzhanskaya recueille en Sinaïde un tonnerre d’applaudissements à l’issue de l’air Ah, d’une tendre mère. Ancienne élève de l’Accademia rossiniana en 2016 à Pesaro, le mezzo expose des trésors de beauté vocale, un chant émouvant dans la cantilène, puis des moments de pure excitation au cours de la cabalette qui suit, en gérant avec musicalité les grands sauts d’intervalle et en déployant une large palette de nuances [lire notre critique de La dame de pique]. Les personnages de moindre importance sont bien tenus par Monica Bacelli (Marie), le troisième ténor Matteo Roma (Aufide) et la basse Nicolò Donini (Osiride / Voix mystérieuse).

Aux commandes de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, Giacomo Sagripanti imprime d’emblée une direction plutôt analytique [lire nos chroniques d’I Capuleti e i Montecchi, Ricciardo e Zoraide et Lucrezia Borgia], laissant s’exprimer avec clarté chaque pupitre, tandis que les attaques des cordes sont empreintes de franchise, voire de nervosité. La précision ne se dément pas par la suite, même pour les instruments les plus exposés, comme le hautbois chargé d’un long solo en ouverture du quatrième acte. Les artistes du Coro del Teatro Ventidio Basso produisent de belles prestations vocales, le problème pour l’auditeur restant un texte souvent difficilement compréhensible, en particulier chez les hommes. Sympathiques applaudissements aux saluts, il reste toutefois à savoir comment sera accueilli le spectacle à l’issue de la première.

IF