Chroniques

par irma foletti

Jules Massenet | Thaïs, opéra en trois actes (version de concert)
Matthew Cairns, Amina Edris, Jean-Fernand Setti, Josef Wagner, etc.

Victorien Vanoosten dirige le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon
Palais Neptune / Opéra de Toulon (saison hors les murs)
- 23 janvier 2024
Victorien Vanoosten dirige THAÏS de Massenet à l'Opéra de Toulon
© frédéric stéphan

Thaïs de Massenet est plutôt bien servie par l’Opéra de Toulon, en se souvenant de la série de représentations d’il y a treize ans avec Ermonela Jaho dans le rôle-titre, Franck Ferrari en Athanaël et Giuliano Carella au pupitre [lire notre chronique du 12 octobre 2010]. Et c’est aujourd’hui en concert (pour deux soirées) qu’est donné l’ouvrage, dans la grande salle du Palais Neptune. Cet auditorium est, en effet, l’un des lieux d’accueil de l’actuelle saison hors les murs de l’Opéra de Toulon, pendant les travaux de rénovation du théâtre historique de Léon Feuchère, un programme de rénovation étalé sur trois saisons, a priori.

Le concert est dirigé par Victorien Vanoosten, tout récemment nommé directeur musical de l’Opéra de Toulon. Le chef dessine tout du long une solide architecture, bien aidé par des musiciens qui ne relâchent jamais leur attention et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ceci est particulièrement vrai pour le violon super soliste de Laurence Monti, admirable de justesse et de sensibilité pendant la célèbre Méditation de Thaïs, accompagnée en fin de morceau par le chœur qui chante à bouche légèrement entrouverte. Il faut tout de même un petit temps à l’oreille pour s’acclimater à l’acoustique de la salle, celle-ci se révélant plutôt flatteuse pour les solistes, placés à l’avant du plateau, mais atténuant sensiblement les décibels des déchaînements de tutti orchestraux. Situés en fond de scène, les choristes participent aussi à la belle qualité d’ensemble. Passé un tout petit décalage en début d’exécution, la concentration ne se relâchera plus. Il faut saluer toutes les composantes de l’orchestre, le beau tapis de cordes en premier lieu, qui rend hommage au lyrisme puissant, voire à la sensualité de la partition, les différents pupitres de bois régulièrement exposés en virtuosité, jusqu’aux cuivres solides, en passant par les contributions de la harpe et des claviers qui donnent des couleurs particulièrement orientales à plusieurs passages instrumentaux, comme les séquences habituellement dansées. L’opéra vit et progresse sous la battue variée du chef [lire nos chroniques d’Hamlet, Hérodiade, La reine de Saba et Les pêcheurs de perles] – une musique très suggestive qui fait voyager, aux contours dramatiques aussi pour illustrer les tensions entre protagonistes.

En prise de rôle, Amina Edris est une remarquable Thaïs, servie par un timbre d’une séduction immédiate, une fine musicalité et une diction de rêve dans un français tout simplement parfait. L’instrument est plutôt rond et joue remarquablement sur la nuance piano en émettant certains aigus filés d’une grande pureté [lire nos chroniques des Indes galantes, de La traviata, Norma et La bohème]. La voix du soprano n’est toutefois pas très large et trouve ses limites dans l’épanouissement des notes qui s’approchent du domaine dramatique – elle a, par exemple, l’intelligence, pour conclure son grand air Dis-moi que je suis belle en début de l’Acte II, de ne pas tenter le suraigu conclusif (éternellement) qui pourrait entamer, à terme, ses beaux moyens.

En Athanaël, le baryton-basse autrichien Josef Wagner développe lui aussi une diction optimale, accompagnée d’un style soigné assis sur un souffle abondant. Ce rôle très long, et qui pourrait donner sans aucun scandale son titre à l’opéra, sollicite les extrémités de la tessiture, la partie la plus aigüe sonnant plusieurs fois plus discrètement, comme des notes un peu resserrées – par exemple, le « Venez » à l’issue du grand air Voilà donc la terrible cité ! au premier acte. Le chanteur prend aussi certaines notes par-dessous, ce qui renforce le caractère monolithique d’un personnage à l’extrême intransigeance religieuse, du moins au cours des deux premiers actes [lire nos chroniques de The Rake’s Progress, Neues vom Tage, Turandot, Il Giasone, Christophe Colomb, Così fan tutte, Olympie, Die Zauberflöte, Salome, Das Wunder der Heliane, Tristan und Isolde, Die Vögel et Die Frau ohne Schatten].

Dans les rôles nettement plus brefs de Nicias et Palémon, Matthew Cairns et Jean-Fernand Setti font très bonne impression, respectivement ténor à l’aigu facile et basse profonde et bien-disante [lire nos chroniques de La sirène, Carmen, Tosca, Frédégonde, Lucia di Lammermoor et Roméo et Juliette]. La distribution est avantageusement complétée par Faustine de Monès (Crobyle) et Anne-Sophie Vincent (Myrtale), cette dernière prenant également le rôle d’Albine à partir du deuxième acte.

IF