Chroniques

par hervé könig

Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Glyndebourne Festival
- 1er juillet 2018
à Glyndebourne, Annilese Miskimmon transpose Butterfly dans les années cinquante
© robbie jack

Le voyage lyrique anglais s’achève ce soir à Glyndebourneoù l’on joue Madama Butterfly dans une nouvelle production vue en tournée ici et là, qui gagne désormais les planches du prestigieux festival. Au pupitre du London Philharmonic Orchestra, on ne pourra certes pas reprocher à Omer Meir Wellber de manquer de passion [lire nos chroniques d’Aida, Daphne, Mefistofele, Tannhäuser et Andrea Chénier] ! Sa lecture possède une intensité débordante, fougueuse et lyrique à souhait, au point, parfois, d’inonder la scène. Ce bel enthousiasme du chef demande un peu de tempérance afin d’éviter les nombreux problèmes de balance avec les chanteurs, mais aussi pour laisser respirer l’exécution au delà d’un élan toujours exclusivement dramatique, vite fatiguant, qui ne profite pas assez de beaux moments offerts par les musiciens. Dirigé par Nicholas Jenkins, le Glyndebourne Chorus donne une prestation brillante.

Le soprano Olga Busuioc compose une Cio-Cio-San moins passive que d’habitude, une volontaire qui assume avec caractère de tourner le dos à sa famille. Cette option correspond bien à sa voix puissante. Sa Butterfly est une grande héroïne tragique au lyrisme très coloré. Seul ombre au tableau : une intonation parfois instable. Pinkerton revient à Joshua Guerrero, soignant le legato et la souplesse. Outre un physique avantageux, le ténor dispose d’un timbre raffiné, mais devrait se montrer plus prudent dans la conduite de l’aigu. Sans hésiter, l’on peut affirmer que LA voix de la soirée est le mezzo Elizabeth DeShong : l’autorité de la couleur, la fiabilité de la ligne, l’évidence de la projection et la réelle intelligence du rôle se conjuguent dans une Suzuki digne des plus grandes références de l’histoire de l’opéra. Michael Sumuel s’exprime d’un baryton beaucoup trop sombre pour le consul Sharpless, il est donc mal distribué, comme le prouvent des aigus souvent forcés. En Goro, nous retrouvons François Piolino, toujours aussi fringant, ici entremetteur plus pervers que jamais. Yamadori, le prince fièrement éconduit, est admirablement tenu par le jeune Simon Mechliński. D’une basse pleine et enveloppante, Oleg Budaratskiy (Bonze) fait résonner la malédiction des ancêtres.

La metteure en scène Annilese Miskimmon évite le kitch convenu dans lequel la plupart de ses confrères maintiennent l’opéra de Puccini. De prime abord, son option de situer l’intrigue dans le Japon occupé par l’armée nord-américaine durant les années cinquante offre un net contre-pied à cette tendance. Dans les décors, d’abord soucieux de réalisme, signés Nicky Shaw, elle contextualise l’argument dans un système qui, sous prétexte de soustraire des adolescentes japonaises à la pauvreté, offre aux GI un tourisme sexuel légalisé. Une loi de 1952 autorise ces officiers à rentrer au pays avec leur war bride, et c’est ce que montre la vidéo de Ian William Galloway, projetée durant le soir des noces – les mariées japonaises débarquent en liesse devant la statue de la liberté, elles deviennent de bonnes ménagères, selon les critères yankees. Après avoir colonisé Nagasaki, les Américains attirent donc les filles avec des promesses vaseuses. Dans cette réalité impérialiste impitoyable, la transaction matrimoniale, qui sacrifie aux dollars la virginité d’une adolescente crédule, gagne un jour encore plus cruel. En situant le bureau d’un Goro, voyeur à l’occasion, dans un hall d’hôtel minable où toute une file de GI vient goûter de la chair fraîche (une usine à mariages !), Miskimmon accentue le cynisme horrible. Vendue au colon, Cio-Cio-San n’en est pas moins réellement amoureuse. Elle fait partie de ses candidates pour le voyage vers la terre promise, en oubliant que, quelques années auparavant, ce beau pays lointain a largué Fat Man sur sa ville, maintenant en reconstruction. Le parti pris fonctionne, avec ce rêve américain jamais réalisé, sans présenter pourtant une grande invention. Certains spectateurs parlent d’une mise en scène féministe… mais la condition des femmes japonaises n’est-elle pas essentielle au livret ? Qui pourrait croire le contraire ? Ce travail est donc une simple radicalisation de l’élément-clé du matériau original.

HK