Chroniques

par katy oberlé

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Teatro Regio, Turin
- 30 juin 2017
Duncan en décente de la Croix dans le superbe Macbeth d'Emma Dante à Turin
© ramella e giannese | teatro regio torino

Elle me manquait, l’Italie des cols, l’Italie du bon café, l’Italie du soleil, enfin l’Italie lyrique ! Et quand il s’agit de rouler vers le sud pour la bonne cause, inutile de me le dire deux fois, le lecteur le sait bien. Il fait encore presque nuit, la fraîcheur de ce vendredi n’est pas du tout encourageante, mais quelques bonnes heures de conduite me mènent bientôt en terre de musique, où me consoler d’un lever si matinal. Concentrée, je fonce sur une chaussée déserte. Les voyageurs le savent : les kilomètres avalés de bonne heure sont autant de gagner sur la fatigue à venir. Passés Bâle, les lacs suisses dans le brouillard, parfois même sous un crachin qui ralentit la course, je suis bientôt à l’entrée du tunnel du Saint-Gothard, une de mes portes vers le bonheur. Descendre vers Lugano n’est déjà presque plus rien, avec le ciel soudain bleu. Le lieu n’est pas absolument glamour, mais voilà cinq heures que je suis partie : à la sortie du pont de Melide, un petit-déjeuner tardif s’impose au Lido de Bissone.

C’est encore la Suisse, le café au lait est le même qu’en Alsace, avec un Vollmilch un peu plus gras et goûteux, peut-être. La montagne est belle, encore calme… Trois bons quarts d’heure plus tard, dont une toute petite ronflette, les deux mains sur le volant, et bientôt je pénètre la botte par Chiasso et le lac de Côme. Par l’autostrada dei laghi, c’est un jeu d’enfant, vraiment, que d’atteindre la zone milanaise pour bifurquer vers l’ouest par l’A4, parcourir la Lombardie occidentale puis enjamber le Tessin après lequel commence le Piémont. À 15h, le véhicule est parqué, la valise posée dans la chambre, au cœur de Turin, la capitale des princes de Savoie.

Six cents kilomètres de belle route, pour apprendre que Gianandrea Noseda ne dirige pas ce soir parce qu’il a mal au dos, c’est assez dommage. Entendre comment l’un de nos meilleurs verdiens conçoit le dixième opéra du maître et son premier à s’inspirer de Shakespeare entrait pour beaucoup dans ma motivation, le choix de Noseda de jouer l’œuvre dans sa seconde version (1865) mais avec la conclusion de la première (1847) ne m’ayant pas échappé. Bien sûr, Giulio Laguzzi qui le replace au pupitre, et que les Turinois ont applaudi cet automne dans Puccini, ne remet pas en cause cette décision. Il hérite d’une fosse chauffée à blanc, parfaitement préparée par le directeur musical de la maison… mais, sans démériter aucunement, il n’est pas Noseda himself, tout simplement. L’efficacité de l’Orchestra del Teatro Regio Torino ne déroge pas à sa réputation, contrairement à son Coro qui accuse une surprenante imprécision et un manque criant d’homogénéité.

Une surprise n’arrive jamais seule, paraît-il : après la mauvaise nouvelle, la bonne, c’est-à-dire la mise en scène passionnante d’Emma Dante. La comédienne et réalisatrice sicilienne, engagée depuis toujours dans une avant-garde courageuse, invente un monde terrifiant, avec le scénographe Carmine Maringola, Vanessa Sannino aux costumes, et une chorégraphie de Manuela Lo Sicco, sous les lumières travaillées de Cristian Zucaro. Loin d’y chercher une fantasmagorie de royaume écossais, c’est sur les rives méditerranéennes que la production trouve ses racines. Les mouvements de la soldatesque empruntent leur saccade aux pupi siciliani et le couple criminel prend les atours du cheval macabre d’une fresque du XVe siècle qu’on admire au Palazzo Patella de Palerme, Il trionfo della morte. Plusieurs rituels s’enchevêtrent adroitement au fil du spectacle, de la toilette de Duncan mort, en descente de croix – le roi fut-il coupable d’orgueil à se vouloir sauveur de l’âme des siens ?... – aux copulations démentes des sorcières. La scène est une terreur à elle seule, comme le texte original de Shakespeare, bien plus épouvantable qu’aucun opéra ne saurait en rendre compte. Emma Dante dépasse son propre cadre avec la scène de somnambulisme (Lady Macbeth souffre d’insomnie, le plateau est envahi de lits d’hôpital qui tournent affreusement autour d’elle) et la chambre (où l’on voit s’emboîter les trônes de son ambition insatiable). L’on n’en finirait pas d’énumérer les trouvailles de cette mise en scène endiablée dans de géniales crispations convulsives !

Les chanteurs n’ont pas seulement à chanter et à jouer, il leur faut porter sur les épaules un univers qui donne la chair de poule. Le Macbeth de Dalibor Jenis y parvient aisément, avec une voix puissante, très projetée, qui ne perd pas son temps à noircir la couleur. L’expressivité écrasante du baryton slovaque ne fait pas l’ombre d’un doute ; elle nous entraîne dans les audaces et les peurs qui font le sel contradictoire du personnage. Anna Pirozzi incarne une Lady Macbeth brillante qui, bien qu’elle ne corresponde pas vraiment au timbre criard, peu flatteur, qu’imaginait Verdi, possède une sorte d’arrogance vocale qui revient au même. L’investissement dramatique est exemplaire. On apprécie sa Suivante, Alexandra Zabala de belle tenue. En revanche, Vitaly Kovaliov semble fermé en Banco de peu d’intérêt, de même que le Malcolm lointain du jeune (et beau !) Cullen Gandy. Ma préférence va au Macduff lyrique de Pietro Pretti.

Si vous ne pouvez pas vous rendre dans l’immédiat à Turin, sachez que ce Macbet incandescent se donnera également aux festivals d’Edimbourg et de Macerata : ça vaut franchement le déplacement !

KO