Chroniques

par irma foletti

Сказка о царе Салтане | Le conte du tsar Saltan
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov

Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles
- 21 juin 2019
À Bruxelles, Dmitri Tcherniakov met en scène "Tsar Saltan" de Rimski-Korsakov
© forster | la monnaie – de munt

L’opéra de Rimski-Korsakov – dont le nom complet est Le conte du tsar Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux, le prince Gvidone Saltanovitch et de la très belle Princesse-Cygne (Сказка о царе Салта́не, о сыне его славном и могучем богатыре князе Гвидо́не Салта́новиче и о прекрасной царевне Лебеди) – avait été composé pour marquer le centième anniversaire de la naissance d’Alexandre Pouchkine (1799-1837), auteur du poème à partir duquel Vladimir Bielski écrivit le livret. Le spectacle monté pour La Monnaie par Dmitri Tcherniakov (en coproduction avec le Teatro Real de Madrid où il sera repris ces prochaines saisons) démarre sans musique avec deux personnages entrant en scène devant le rideau métallique d’aspect doré. Accompagnée d’un jeune homme au chandail un peu long, une femme explique en russe, traductions sur le rideau, que son fils n’a jamais connu son père, qu’il ne parle pas ou presque, qu’il est autiste. La mère raconte alors l’histoire à son fils, « comme un conte de fées ». Et c’est finalement un traitement personnel que livre le metteur en scène, intégrant une dimension sociétale et poétique qui s’éloigne du folklore féérique du conte original.

Dès lors la musique commence et les personnages entrent par la salle, dans des costumes et coiffes naïfs, comme dessinés grossièrement aux crayons de couleurs. Ils avancent à petits pas, les femmes en longue robe façon babouchka, et les hommes en long manteau. Le garçon autiste est le tsarévitch Gvidon, présent tout au long de la soirée, et pris en effet de gestes convulsifs, clignant des yeux, agitant souvent les bras de manière frénétique et répétée. On amène sur scène les éléments du tonneau, monté à coups de marteau pour y enfermer Gvidon et sa mère la tsarine Militrissa, puis les jeter à la mer. Le rideau métallique se lève pour en découvrir un second, en tissu, sur lequel sont projetés les dessins en noir et blanc de Gleb Filshtinsky qui s’animent : le tonneau vogue sur les flots, les figures de la mère et de son fils, celles des trois méchantes femmes dont l’une se transforme en poisson monstrueux avalant le tonneau... ceci a effectivement de quoi perturber le jeune homme et faire couler les larmes de la maman. Des animations dessinées sont encore montrées pour la construction de l’arc et des flèches, et Gvidon qui tue le vautour qui menaçait le cygne. Celui-ci apparaît en transparence derrière le rideau, sous les traits d’une princesse à plumes blanches, dans un décor d’un blanc immaculé, avant de se colorer. Le tsarévitch franchit alors le rideau pour conclure l’Acte II. Au III, les animations vidéo se poursuivent avec le vol du bourdon, alias le tsarévitch qui espionne, tournoie dans les airs et pique tour à tour les trois méchantes à la paupière. Au IV, le tsar débarque, avec quelques amis, nous explique-t-on, tous en tenue de ville pour retrouver sa femme et son fils. Mais l’assemblée rit et se moque du tsarévitch qui décrit ces merveilles par des dessins : l’écureuil et ses noisettes en or et émeraude, ainsi que les trente-trois chevaliers sortis de la mer. Le dénouement ne se situe pas non plus dans l’allégresse et le pardon général : enfermé dans son autisme, le tsarévitch frappe le rideau de scène, se roule par terre, tandis que la mère et la princesse sont en plein désespoir.

Aucune réserve n’est à formuler sur la partie musicale, le chef Alain Altinoglu servant admirablement cette partition d’une richesse incroyable. Quelques passages instrumentaux sont d’une beauté unique, comme la musique un peu énigmatique et très menaçante qui accompagne les images du tonneau qui vogue, ou encore la sublime séquence aux accents wagnériens pendant la nuit de sommeil à l’Acte II et la transformation de l’île en une cité resplendissante. Les choristes aussi sont superbement préparés par Martino Faggiani, en particulier pendant cette même scène où ils sont placés au dernier étage du théâtre, participant ainsi à une spatialisation du son fort originale.

Parmi les solistes, le ténor Bodgan Volkov, distribué en Gvidon, assure à la fois une performance théâtrale remarquable et une forte présence vocale, d’un beau timbre vigoureux. La Tsarine de Svetlana Aksenova, elle aussi en charge d’un jeu très travaillé, exprime également par le chant ses lourds sentiments : elle pousse un cri rauque, presqu’animal, à l’énoncé de la sentence du tonneau, puis, dans la foulée, interprète son air de lamentation, d’un style très lyrique et de grande ampleur. Dans le rôle de la Princesse Cygne, l’instrument du soprano Olga Kulchynska est encore plus sonore – surtout logée dans son décor concave en forme de grotte à l’acoustique favorable – et d’une somptueuse qualité. Les trois méchantes femmes, à savoir les deux sœurs de Militrissa, Stine Marie Fischer (Tkatchikha) et Bernarda Bobro (Povarikha), ainsi que la vieille mère Babarikha de Carole Wilson, sont parfaitement en situation, fielleuses et mielleuses à souhait, cette dernière faisant entendre un sombre timbre de mezzo, à la limite de l’alto.

Dans le rôle du tsar Saltan, Ante Jerkunica possède une basse profonde et puissante, riche dans le grave mais moins généreuse dans l’aigu. Les autres rôles masculins sont très bien défendus : le ténor claironnant Vassili Gorshkov (Vieil homme), Alexander Vassiliev (Skomorokh), Nicky Spence (Messager) et Alexander Kravets (Marin).

IF