Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre national de France, Enrique Mazzola
Niccolò Piccinni | Iphigénie en Tauride (version de concert)

Radio France, Paris
- 21 avril 2007

De tous temps, les directeurs d'opéra n'ont eu de cesse que d'attirer le public, quelques furent les moyens empruntés pour ce faire. La polémique étant le plus sûr, à n'en pas douter, Anne-Pierre-Jacques Devismes (qui dirigea la maison parisienne à la fin des années 1770) imagina de commander un ouvrage composé à partir d'un même livret à deux musiciens différents, et ce dans le plus grand secret. Ainsi survint une seconde querelle, une trentaine d'années après celle dite des Bouffons, opposant les partisans de Gluck à ceux de Piccinni. Finalement, plutôt que de créer deux Iphigénie en Tauride en même temps, celle de l'Allemand (1779) fut présentée deux ans avant celle de l'Italien, le départ de Gluck pour Vienne n'empêchant pas une concurrence active à cette occasion, au printemps 1781.

Si le mélomane d’aujourd’hui connaît d’abord l'Iphigénie en Tauride de Gluck [lire nos chroniques des 16 octobre et 6 décembre 2005, 1er juillet 2006 et notre critique DVD de la production zurichoise], s'avère passionnante la redécouverte de l'opéra de Niccolò Piccinni, vivement défendu par le penseur Marmontel – d'ailleurs affidé à la même loge qui comptait Guillotin, médecin saintais rendu tristement célèbre par la trop longue carrière de sa machine, Pierre-Louis Ginguené, adaptateur du livret d'Alphonse du Congé Dubreuil (tandis que Gluck avais mis en musique celui de Nicolas-François Guillard), et le compositeur en personne –, le recul révélant le peu d'argument esthétique à nourrir les rognes tant piccinistes que gluckistes.

Au pupitre, Enrique Mazzola commence l'Ouverture en trois parties avec la pompe tragique requise qu'il circonscrit dans une relative et saine distance ; le mouvement central rencontre une tendre aura présente plus tard dans les moments d'aveux, tandis que le final est traversé d'une urgence qui ne fait pas de quartier. Tout au long de cette exécution, le chef soigne le relief dramatique – il mène rondement le fugato qui termine le premier acte, par exemple – et peint délicatement les climats de chacune des grandes scènes, avec la complicité précise et enthousiaste des musiciens de l'Orchestre national de France, tout au service de sa conception.

Préparé par Martino Faggiani, le Chœur de Radio France livre des interventions efficaces dans les tutti, mais on regrette des Prêtresses anémiées dont on ne comprend pas plus les mots que les notes. De même faut-il préciser que les petits rôles (un Scythe, Élise, Diane) ne bénéficient bénéficiés d'une distribution satisfaisante. En revanche, le quatuor principal est parfaitement choisi, chacun possédant le format exigé par l'écriture parfois chargée de Piccinni.

La jeune basse Jean-Vincent Blot orne Thoas d'un timbre attachant, d'une projection généreuse, bien que l'émission soit un peu forcée. Avec la meilleure diction française de la soirée, de vrais moyens et une technique qu'on ne saurait mettre en doute, il ne manque à son chant que de se tranquilliser, de laisser la voix prendre naturellement de la hauteur sans écraser le phrasé pour laisser mieux apprécier ses qualités. On retrouve Gregory Kunde en Pylade, une présence et une couleur que l'on identifie volontiers comme berliozienne et qui offrent un fort brillant Fais éclater la foudre (Acte II) ; relevons toutefois que l'aigu perd désormais de sa souplesse et qu’en général plus de nuances ne fâcherait personne. Après des premiers pas un rien brutaux, l'Oreste de Luca Pisaroni, bien que respirant assez laborieusement la prosodie française, jouit d'une belle assise grave, d'un espace vocal confortable, d'une couleur riche et attachante : il est tout saisissant dans Cruel ! Et tu dis que tu m'aimes (troisième acte). Enfin, l'Américaine Twyla Robinson donne une Iphigénie d'une notable souplesse vocale, dans un impact égal et stable, dotée d'une incontestable intelligence du texte (d'ailleurs prononcé sans sourciller).

BB