Chroniques

par katy oberlé

Hamlet
opéra d’Ambroise Thomas

Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles
- 3 décembre 2013
Stéphane Degout, immense Hamlet nu à La Monnaie de Bruxelles
© hermann und clärchen baus

« Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas », osa dire l’Auvergnat Emmanuel Chabrier de son aîné lorrain. Qu’avait-il à reprocher au Messin ? D’écrire d’une façon assez laborieuse, d’accuser des influences germaines – oubliant vite, dans son inconséquence que ses fans confondent avec la légèreté, qu’il est né trente ans avant lui, en un temps qui ne sait pas encore rire de ces manières-là –, mais surtout d’être le grand directeur du conservatoire de Paris, durant un quart de siècle, ce qui en exaspéra plus d’un.

Titulaire d’une telle fonction, Thomas fut beaucoup joué, diront les mauvaises langues. Sauf que non : le premier de ses vingt ouvrages pour la scène fut créé des 1837 à l’Opéra Comique, quand le jeune Ambroise n’avait que vingt-six ans ! Et lorsqu’à soixante, il préside à la destinée des jeunes musiciens français de la docte institution, dix-huit de ses opéras ont connu les honneurs. Regardons les choses dans le bon ordre : c’est parce que sa musique fut considérée qu’Ambroise Thomas obtint cette charge enviée, ce n’est certainement pas cette position qui fit connaître son œuvre. La rigueur du personnage, relatée çà et là, donnerait plutôt à penser l’inverse : elle ne serait sans doute pas tombée en désuétude s’il n’avait pas occupé ce poste !

Sous les projecteurs avec Alceste et Aida à l’Opéra national de Paris [lire notre chronique du 12 septembre 2013] et bientôt Dialogues des carmélites au Théâtre des Champs-Élysées, Olivier Py occupe décidément le terrain, avec cette reprise bruxelloise de son Hamlet viennois. En tirant presque toujours les mêmes ficelles, ce n’est pas difficile. Le lecteur aura beau jeu de protester que ma plume vise sous le nombril : l’œil de Py ne monte guère plus haut à caresser le machin du prince danois sous la main de sa mère, dans le bain moussant – lamentable cliché. Peut-être le metteur en scène aura-t-il succombé à son propre désir d’apaiser la nudité glorieuse du baryton… on peut le comprendre et il lui sera grandement pardonné, allons (le livret de Carré et Barbier fait l’impasse du caractère shakespearien faisant d’Hamlet un joyeux copulateur sans foi ni loi dont il n’est pas possible un seul instant d’imaginer qu’il confierait sa libido à maman ; aussi n’y a-t-il donc pas de franche incompatibilité entre ce délire voyeur et le silence prude du XIXe siècle sur l’innommable entre-jambes) !

Heureusement, le plateau vocal fait l’affaire.
La belle clarté de Rémy Mathieu en fatal Laërte n’y est pas pour rien, ni la grâce tendre de l’Ophélie touchante de Lenneke Ruiten et l’autorité douce de Jérôme Varnier en Spectre. Jennifer Larmore paraît un peu fatiguée en Gertrude incestueuse, mais toujours moins que le pauvre Claudius beuglant de Vincent Le Texier, atrocement anti-musical. Le rôle-titre est confié à l’excellentissime Stéphane Degout : diction parfaite, prosodie subtile, présence captivante de grand tragédien, il réunit toutes les qualités de l’anti-héros tourmenté. Dirigé par Martino Faggiani, les choristes présentent un bon travail, malheureusement mal coordonné par la baguette peu sûr de Marc Minkowski, à des années-lumière du romantisme français.

Entre mauvaise et bonne, la musique d’Ambroise Thomas se situerait dans cette moyenne qu’on appelle médiocrité ? Je ne crois pas, non [lire notre chronique du 19 mai 2013]. De même que Mignon [lire nos chroniques du 11 novembre 2005 et du 10 avril 2010], son Hamlet est une réussite qui recommence à intéresser [lire notre chronique du 7 mars 2010]. Qui décidera de monter Le songe d’une nuit d’été ou Françoise de Rimini (respectivement 1850 et 1882) ? Que diable, un peu de courage, messieurs les directeurs de théâtres lyriques !!!

KO