Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel | Rinaldo, opéra en trois actes
Emőke Baráth, Lucile Richardot, Chiara Skerath, Carlo Vistoli, etc.

Thibault Noally dirige Les Accents
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 2 février 2024
Thibault Noally joue Rinaldo d'Händel au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© dr

Librement inspiré d’un des nombreux épisodes de La Jérusalem délivrée du Tasse (Torquato Tasso, La Gerusalemme liberata, 1581), comme beaucoup d’opéras baroques – les sources des livrets sont alors cette Jérusalem, le Roland furieux de L’Arioste (Ludovico Ariosto, Orlando furioso, 1516 et 1532), les Métamorphoses d’Ovide ainsi que la mythologie grecque et les histoires impériales romaines –, Rinaldo du jeune Georg Friedrich Händel est présenté pour la première fois au Queen’s Theatre de Haymarket (Londres), le 24 février 1711. Aujourd’hui moins célèbre que les fameux A du compositeur saxon – Agrippina (1710), Ariodante (1735) et Alcina (1735) – ou encore Giulio Cesare in Egitto, l’opéra en trois actes connaît toutefois une certaine gloire [lire nos chroniques des productions de David Alden, Sabine Hartmannshenn, Louise Moaty, Robert Carsen et Claire Dancoisne]. À l’instar de Dani Espasa qui en dirigeait une version de concert au Festival Castell Peralada [lire notre chronique du 5 août 2018], Thibault Noally et ses Accents en livre avenue de Montaigne une interprétation non-scénique.

D’emblée, on apprécie l’habileté par laquelle le musicien annonce la dramaturgie de l’ouvrage dans la Sinfonia, avec un engagement sensible dont il ne se départira pas de toute la soirée. Rehaussant habilement les contrastes sans les accuser vraiment, Noally articule adroitement la narration musicale où il met en relief l’écriture des bois. Le soin apporté à l’équilibre entre pupitres, à la lisibilité de la manière händélienne, le dispute à un amour des voix qui transparaît dans chaque accompagnements. Insuffisante, une version de concert ? Absolument pas, lorsque l’expressivité est de chaque instant, laissant tout un chacun imaginer ce qu’il veut ou simplement goûter au plus précis de la partition une œuvre si subtilement servie.

Le sextuor vocal ici réuni ne ternit pas cette bonne première impression. En Argante, on retrouve le baryton Victor Sicard, d’abord un brin timoré, au point d’en paraître presque instable, puis mieux assuré dans les interventions suivantes et même finement nuancé dans les ultimes [lire nos chroniques d’Il terremoto, Iphigénie en Tauride et Il palazzo incantato]. Le mezzo-soprano Lucile Richardot, récemment applaudi dans Le Grand Macabre de Ligeti [lire notre chronique du 2 décembre 2023], campe d’un impact stentoral un Goffredo robuste et impératif qui fascine durablement [lire nos chroniques de Dido and Æneas, Combattimento, Hamlet et David et Jonathas]. Charismatique en diable, le contralto Anthea Pichanick cisèle le rôle secondaire d’Eustazio (elle chante également le Mago Cristiano) qui gagne ce soir un grain vocal à la caressante autorité [lire notre chronique de Coronis]. L’agilité du soprano Chiara Skerath est à la fête dans les roucoulades que le Grand Saxon confie à la belle Almirena (elle chante aussi une Sirène et une Dame) ; la souplesse n’est pas en reste, ainsi qu’un art certain de l’agrément [lire nos chroniques de Trompe-la-mort, La Cenerentola ossia La bontà in trionfo, Der Freischütz, Œdipe puis Pelléas et Mélisande]. Aujourd’hui doté d’une couleur vocale plus riche encore qu’à ses débuts, l’excellente Emőke Baráth compose une Armida tour à tour féroce et vulnérable, au gré du caprice amoureux. Plus chaleureux que jamais, le timbre a gagné une souveraineté qui ravit l’auditoire, sans que s’en trouve entravée la malléabilité de la dynamique [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, Elena, Catone in Utica, Orfeo à Nancy puis à Metz, Scylla et Glaucus, Stabat Mater de Pergolesi, Serse, Ipermestra, Alcina, Gloria et Stabat Mater de Poulenc, La Dori, enfin d’Il ritorno d’Ulisse in patria]. De plus en plus présente sur la scène musicale, le contre-ténor Carlo Vistoli incarne magistralement le rôle-titre, mariant au mieux précision, inspiration, ornement et chatoiement, alternant le caractère incisif et l’onctuosité dolente [lire nos chroniques d’Erismena, Orfeo (CD), Xerse et Giulio Cesare in Egitto]. Un ravissement !

BB