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Arrigo Boito
Nerone | Néron
Lorsque Néron (37-68) accède au trône après le décès de son oncle Claude, pour un règne qui approcherait quatorze années, le commerce et la diplomatie sont au cœur de ses préoccupations. Bientôt, il faut y ajouter l’élimination des ennemis de l’extérieur (Parthes, Bretons, etc.) et celle d’intimes devenus gênants, notamment sa mère Agrippine la jeune (59), sa première épouse Octavie (62), ou encore Poppée (65), la deuxième épouse, selon Tacite et Suétone. Mais ces biographes sont souvent partiaux et ont contribués à noircir la légende d’un empereur qu’il convient d’approcher avec nuance. Aujourd’hui, par exemple, durant l’incendie qui dévora Rome aux deux-tiers pendant six jours (64), on découvre un autre Néron que celui de l’artiste à la lyre popularisé par le cinéma d’après-guerre (Quo vadis ? 1951 ; Nerone e Messalina, 1953) : revenu d’une villégiature passée dans sa région natale, c’est un homme qui déplore ses biens perdus et organise les secours. Certes il profite de la circonstance pour remodeler la ville, mais a-t-il pour autant commandité les flammes ?
Bien avant le péplum, un personnage si outrancier n’a pas manqué d’inspirer les écrivains, tels Racine (Britannicus, 1669) et Dumas (Acté, 1838) sur le sol français, mais également les musiciens dans le reste de l’Europe, comme Biber (Arminio, 1690), Keiser (Octavia, 1705), Rubinstein (Nero, 1879) ou encore Mascagni (Nerone, 1935) [lire notre critique du DVD]. Ce dernier fit preuve de la nuance évoquée plus haut. Fasciné depuis sa jeunesse par le tyran décrit par le dramaturge Pietro Cossa (1871), l’auteur d’Iris [lire notre chronique du 26 juillet 2016] l’envisage de même « humanisé, sans cothurne » : « Néron fut cruel, davantage par peur que par instinct, il se comporta comme une femmelette superstitieuse, vile, mais il s’avéra bon poète autant que peintre, sculpteur, acteur et chanteur. […] Tout ce qu’il y a de curieux, de facile, de misérable, de comique, de bizarre, d’envoûtant qui pouvait ressortir de ce personnage fort intéressant, a été pour moi force de suggestion » (in Charlotte Ginot-Slacik et Michela Niccolai, Musiques dans l’Italie fasciste, Fayard, 2019) [lire notre critique de l’ouvrage].
Quelques années plus tôt, le compositeur et librettiste renommé Arrigo Boito (1842-1818), auteur du fameux Mefistofele [lire nos chroniques des productions de Robert Carsen, Giancarlo Del Monaco, Balázs Kovalik et Roland Schwab], s’éteignait en laissant inachevé son propre Nerone, longuement mûri et maintes fois retouché. Sur proposition d’Arturo Toscanini qui assura la création à La Scala, le 1er mai 1924, les compositeurs Antonio Smareglia (1854-1929), puis Vincenzo Tommasini (1878-1950) terminèrent l’orchestration du quatrième acte.
C’est au Bregenzer Festspiele que nous retrouvons l’ouvrage, à l’été 2021, dans une mise en scène malheureusement confiée à Olivier Tambosi [lire nos chroniques de Jenůfa et d’Amleto] – accompagné par Frank Philipp Schlössmann (décors) et Gesine Völlm (costumes). Brouillant les époques (ici une toge, là un phonographe), mais aussi les identités (avec des tenues souvent identiques, comme si tous se valaient durant la décadence), et parfois les genres, abusant d’une symbolique désolante (des ailes ici, des béquilles là), le natif de Paris n’éclaire en rien le livret déjà obscur signé Boito, où les tensions entre la religion impériale et le christianisme s’illustrent par un fatras de références historico-mythologiques. L’absence de sous-titrage français désoriente davantage.
En revanche, la partie vocale de cette production apporte toute satisfaction, si l’on excepte Rafael Rojas, rôle-titre inégal sur la longueur malgré des moments vifs et tonitruants [lire notre chronique d’Otello]. Il est bien entouré par Lucio Gallo (Simon le Magicien), au baryton coloré, expressif et nuancé [lire nos chroniques de Simon Boccanegra, Manon Lescaut, Don Pasquale, La fanciulla del West à Torre del Lago, Amsterdam et New York, enfin d’Il tabarro], ainsi que par Miklós Sebestyen (le praticien Tigellino), d’une grande stabilité [lire nos chroniques de Die Meistersinger von Nürnberg, Aleko et I puritani]. On aime également le chant de Svetlana Aksenova (Asteria) qui gagne en liberté, intensité et passion [lire nos chroniques de Rusalka, Le conte du tsar Saltan et Zazà], comme celui des deux artistes incarnant les chrétiens Fanuèl et Rubria : Brett Polegato allie souplesse, élégance et velouté [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Tristan und Isolde, Dinner at Eight et Tosca], tandis qu’Alessandra Volpe possède une présence remarquable [lire nos chroniques de Norma, Don Giovanni et Madama Butterfly]. Signalons également la voix sûre de Taylan Reinhard (Gobrias) et Ilya Kutyukhin (Dositèo) dans des rôles secondaires, et la performance du Chœur Philharmonique de Prague. Sous la direction attentive de Dirk Kaftan [lire notre chronique de Make no noise], les Wiener Sinfoniker délivrent la musique qui brasse l’héritage austro-germanique (Wagner, Malher, Strauss) et celui de Verdi, où se repèrent des cousinages chatoyants (Busoni, Respighi, Wolf-Ferrari, etc.).
LB