Chroniques

par samuel moreau

Arrigo Boito
Mefistofele | Méphistophélès

2 DVD Dynamic (2008)
33581
Arrigo Boito | Mefistofele

Romancier, poète et librettiste d’opéra – citons notamment ses collaborations avec Verdi sur Simon Boccanegra (1881, pour la version révisée de 1857), Otello (1887) et Falstaff (1893) –, Arrigo Boito est l’une des personnalités les plus éclectiques de la culture italienne. Figure de proue d’un mouvement principalement littéraire né en Lombardie dans la seconde partie du XIXe siècle (Scapigliatura, autrement dit la bohème), il se montre très critique envers son environnement social et artistique en dénonçant à sa façon conservatisme, bon sens bourgeois, romantisme langoureux, provincialisme du Risorgimento (l’unification nationale), etc. Comment ne pas penser à l’ouvrage de Puccini, librement inspiré des personnages d’Henri Murger, dans la mouvance de ces idées ?

Ce contraste entre réel et idéal s’affirme dans le premier opéra de Boito, Mefistofele, écrit au retour d’un séjour de deux ans à Paris où la nouvelle musique française est découverte (Auber, Berlioz, Meyerbeer, Rossini). Nourri de Shakespeare, Nietzsche et Schopenhauer, le compositeur suit fidèlement le texte de Goethe pour en écrire le livret, laissant peu de place aux débordements belcantistes. Le 5 mars 1868, à la Scala de Milan, c’est comme chef d’orchestre qu’il assiste à l’échec de son ouvrage devant une salle désemparée par trop de références idéologiques et d’épisodes symphoniques. Le succès arrivera après quelques remaniements, lors de la reprise bolognaise de 1875.

L’ouvrage étant peu donné depuis son entrée au répertoire – sans doute de par la nécessité d’un trio vocal d’exception, de l’avis du chef Stefano Ranzani –, il ne fallait pas manquer cette production filmée au Teatro Massimo (Palerme) en janvier 2008. À part quelques scènes d’extérieur convenues, Giancarlo Del Monaco a modernisé le mythe – sans diable à cornes (quoique…) ni « Vecchio » à barbe blanche – en usant habilement de la lumière : tunnel radieux sur le Prologo in Cielo durant lequel orgueil et fragilité du rôle-titre sont exposés, sabbat-discothèque avec un trône au cœur d’une boule à facettes géante symbolisant la vacuité du monde, Royaume des Légendes éclairé tel Las Vegas, etc.

Avons-nous ici un trio remarquable ? Plutôt, oui. En fils des Ténèbres, Ferrucio Furlanetto s’avère une basse sonore mais manquant d’abord d’impact ; plus chaude, la voix gagne en chair et en souplesse. Récompensé en 2004 par le Prix Franco Abbiati de la critique italienne, Giuseppe Filianoti (Faust joli comme un cœur) séduit par une ampleur vaillante, juvénile, brillante et corsée ; en outre incisif, le ténor tient compte cependant des nuances exigées du premier au quatrième acte. Quant à Dimitra Theodossiou qui doit changer de couleur pour incarner Margherita puis Elena – l’une dans le pire moment de sa vie, l’autre dans le meilleur –, la dominante vocale est tendre, parcourue de nervures métalliques.

Le reste de la distribution s’avère efficace : Sonia Zaramella (Marta) est un contralto éclatant, Mimmo Ghegghi (Wagner / Nereo) possède un timbre soyeux et Monica Minarelli (Pantalis éteinte) conserve au moins ses graves. Si le chœur maison pèche en stabilité dans le prologue et que l’orchestre s’y montre bien poussif, tout s’arrange par la suite, gagnant en fermeté à partir du moment où le drame se met en place. Enfin, si les entretiens à chaud avec les protagonistes de cette production vous intéressent, sachez qu’il faudra maîtriser l’italien ou l’anglais pour aborder la partie bonus du DVD.

SM