Chroniques

par michel slama

Pietro Mascagni
Nerone | Néron (version de concert)

1 DVD Membran (2003)
230043
Pietro Mascagni | Nerone (version de concert)

Nerone est le dernier opéra de Pietro Mascagni, qui le créa le 16 janvier 1935, avec quelques-uns des plus grands chanteurs de l'époque : le ténor vedette de l'après Caruso, Aureliano Pertile, dans le rôle-titre, la muse guerrière du compositeur, Lina Bruna Rasa, dans celui de Atte et la grande Traviata d'avant-guerre, Marguerita Carosio, dans celui d'Egloge. Le compositeur, qui ne cachait pas son adhésion sans réserve au fascisme, dédia son œuvre à la gloire de Mussolini. Construit à partir des ébauches de l'opéra Vistilia jamais achevé, Nerone se déclare résolument anti-moderne.

C'est vrai que pour l'époque, son œuvre ne brille ni par son originalité, ni par une volonté d'innovation. L'auditeur est, en revanche, surpris par une veine mélodique et harmonique (Musica melodica, ma non melodia), et la multiplication des grandes phrases orchestrales et d'envolées lyriques dans le style du récitatif chanté qu'affectionnait le compositeur. Mascagni ne voulait, en effet, pas de morceaux fermés, c'est-à-dire de grands airs que le public attendrait :

« J'ai toujours été un amoureux du récitatif chanté, fluide, musicalissime, répétait-il. Au fond, Nerone sera ceci : un essai d'expression musicale de la parole. Ainsi, au lieu de l'habituelle indication d'opéra en trois actes, je voudrais sous le titre, écrire vraiment cela ».

L'action est assez riche et complexe à résumer. Néron passe ses nuits dans les tavernes sordides de Rome, récite des pages de Sophocle, se saoule et provoque des querelles. Alors qu'il a déjà une maîtresse véhémente et vindicative, Atte, qui l'a maintes fois sauvé du poignard de ses ennemis, il s'amourache d'une jeune danseuse grecque, l'esclave Egloge, aussi douce qu'Atte est violente… Alors que les tourtereaux roucoulent en plein bonheur, Atte réussit à empoisonner sa rivale. C'est le prélude à la chute de l'empereur. Le peuple romain se soulève et acclame Galba. Tous les amis de Néron le trahissent ou sont exécutés. Seule Atte lui est restée fidèle et retrouve sa place dans le cœur de Néron. L'empereur fuit Rome avec elle. Il se retrouve dans la cabane de Faonte où, apprenant qu'il est destitué, il se donne la mort – après sa compagne –, en déclarant : Quel grand artiste meurt !

Capté lors du Festival Euro-méditerranéen d'août 2001, cette représentation fut d'abord annoncée en version scénique et finalement, pour des problèmes budgétaires, réduite à une version de concert dans le décor naturel somptueux des thermes de la villa de l'empereur Hadrien, à Rome. Autres déceptions qu'il faut bien évoquer : l'absence de notice explicative de présentation à l'intérieur du boîtier, de menu et de sous-titres sur le disque lui-même…

L'image et le son sont excellents et les longs travellings et zoom qui nous font visiter la villa, superbes ; mais ensemble orchestral et chanteurs se révèlent catastrophiques. C'est dommage, parce que cet opéra aurait mérité d'être réhabilité. Entaché de son embarrassante dédicace, cet opéra n'a que peu joui des faveurs des théâtres. Après un rapide tour d'Italie effectué par le compositeur et chef d'orchestre lui-même, puis une ultime reprise à Zurich en 1937, il a fallu attendre 1986 pour que l'opéra soit donné en version de concert à Utrecht. L'enregistrement intégral (Bongiovanni, 2 CD) rassemble une troupe disparate, mais correcte, réunie pour l'occasion autour du Radio Symphony Orchestra di Hilversum.

La présente distribution, elle aussi, composée de jeunes chanteurs à peu près inconnus, est très discutable. Le live ne pardonnant rien, on assiste à l'effondrement progressif des rôles principaux. Souffrant d'un manque cruel de technique, les voix, aux limites réelles de leurs possibilités, sont surexposées et provoquent le naufrage total du projet. D'autant que le chef et son orchestre, impavides, n'aident en rien les chanteurs, livrés à eux-mêmes. La partition orchestrale qui recèle des trésors est dirigée de façon amorphe, surtout comparé à l'enregistrement live en CD. Par ailleurs, le chef se permet des coupures proprement scandaleuses comme l'Intermezzo, dont il ne reste à peu près rien, et certaines scènes sont supprimées. Les nombreux seconds rôles masculins sont mal calibrés et à la limite du supportable.

Pourtant le Néron de Mario Marchesi avait de quoi séduire : servi par un bon physique et semblant avoir les moyens du rôle, il fait une entrée remarquée, après la longue scène d'introduction entre les comprimarii médiocres de la taverne. Il a la grandeur et la noblesse ambiguë du rôle. Très vite, complètement dépassé par les aigus de la partition, il vocifère, s'étouffe et subit l'écrasement d'un rôle trop lourd pour lui. Le rôle ingrat de Menecrate, le comédien et ami de Néron, convient mieux au baryton de Michele Porcelli qui, globalement, nous livre une honnête prestation.

Restent nos deux héroïnes : toutes deux ravissantes et jeunes, elles s'avèrent sous-dimensionnées pour ces rôles. Hurlante, Madelyn Renée Monti chante Atte d'un vibrato excessif, avec une voix et une technique incroyablement vieillies qui font penser aux mezzos slaves en fin de carrière… Il faudrait la voix de la Santuzza de Cavalliera Rusticana pour ce rôle. Egloge, elle, laisse présager le meilleur dans son air d'entrée, seul sacrifice de Mascagni à sa volonté de récitatif chanté pour l'ensemble de la partition. Si elle s'en tire mieux que sa consœur, elle est vite rattrapée par les pièges de l'opéra…

Globalement, une grande déception : Nerone attend encore sa résurrection…

MS