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Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner
Commencé à l’hiver dernier, le nouveau Ring de l’Opéra national de Paris se développe à l’automne avec sept représentations de la première des trois journées à suivre Das Rheingold, le prologue de l’œuvre. Une nouvelle fois, le plateau vocal constitue la composante la plus satisfaisante de la présente Walküre. Affirmant une saine cohésion ainsi qu’une unité de caractère comme de format, les huit walkyries s’avèrent irréprochables, idéalement tenues par Ida Aldrian (Siegrune), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Waltraute) [lire nos chroniques de Médée, The rape of Lucretia et Die Walküre à Bruxelles], Marie-Luise Dreßen (Rossweise) [lire notre chronique de Parsifal ici-même], Jessica Faselt (Helmwige), Louise Foor (Gerhilde) [lire nos chroniques de Rusalka et de Parsifal à Genève], Katharina Magiera (Schwertleite) [lire nos chroniques de Das Rheingold et Œdipe à Francfort, Les voyages de Monsieur Brouček, Une vie pour le tsar et Salome], Marvic Monreal (Grimgerde) et Laura Wilde (Ortlinde).
Très remarquée en Fricka la saison passée, Ève-Maud Hubeaux retrouve le rôle avec une évidence directe et même confortable. Indéniable wagnérien, qui s’est imposé sur les plus grandes scènes [lire nos chroniques de Das Rheingold à Strasbourg, Paris et Bayreuth, Die Walküre à Genève, Tannhäuser, Die Meistersinger von Nürnberg à Paris et à Bayreuth, enfin de Tristan und Isolde], Günther Groissböck campe un Hunding de ferme autorité vocale. La musicalité de l’artiste ne fait pas l’ombre d’un doute et la facilité de la projection n’a de cesse d’encore surprendre [lire nos chroniques de Fierrabras, Idomeneo, La clemenza di Tito, Die Zauberflöte, Der Freischütz, La fiancée vendue, Der Rosenkavalier à Salzbourg puis à Munich, enfin de sa Liederabend munichoise et du récital discographique Nicht Wiedersehen!]. D’un timbre coloré, le soprano Elza van den Heever dote l’épouse involontaire, pour ainsi dire. Elle affirme une émission ronde qui gagne un ambre secret dans la projection. L’inflexion et la présence scéniques sont des avantages qui favorisent le couple sœur/frère, bientôt celui de l’inceste, vaillamment porté par le Siegmund stupéfiant de Stanislas de Barbeyrac. Le rôle, qu’il a d’abord chanté en version de concert, avenue Montaigne, au printemps 2024 sous la direction de Yannick Nézet-Séguin à la tête du Rotterdams Philharmonisch Orkest, convient parfaitement à l’évolution de son organe, révélant désormais une assise bien bâtie sur le grave dont il use avec une souplesse semblant inépuisable. Ainsi apprécie-t-on tant les moments héroïques attendus qu’une tendresse positivement étonnante, le ténor ne forçant jamais rien dans sa prestation d’un indicible lyrisme [lire nos chroniques des Troqueurs, de Mirandolina, Tannhäuser dans cette maison, La traviata, Alceste, Le roi Arthus, Die Zauberflöte à Aix et à Genève, Le médecin malgré lui, Macbet à Marseille, La Périchole, Don Giovanni, Dialogues des carmélites, Les Indes galantes, Pelléas et Mélisande et La vestale]. Remplaçant Iain Paterson initialement prévu, Christopher Maltman assure pleinement la partie de Wotan auquel il prête un baryton-basse puissant et chaleureux [lire nos chroniques de Giulio Cesare in Egitto, Dido and Æneas, Gawain, Das Liebesverbot, Die Gezeichneten, Lyrische Sinfonie, A sea symphony, Œdipe à Salzbourg puis à Paris, Roméo et Juliette, enfin Das Rheingold à Londres]. Encore faut-il saluer l’endurance du chanteur britannique durant un troisième acte où il n’est guère favorisé par la mise en scène (nous y reviendrons). Enfin, il revient à Tamara Wilson d’incarner la fille rebelle, Brünnhilde à l’émission pure mais dont les moyens, pour fort opulents qu’ils soient, ne parviennent pas à emporter complètement l’adhésion [lire nos chroniques de Die Feen, Adriana Lecouvreur, Beatrice di Tenda, Fidelio et Macbet à Francfort]. Aussi son recours en grâce ne bénéficie-t-il guère du crédit souhaité… peut-être, là encore, en vertu de la mise en scène…
Nous y voilà donc.
Dans le même dispositif de plaques métalliques ajourées (décor de Rebecca Ringst), formant des tours mobiles et servant d’écran d’accueil à la vidéo, que le Rheingold par lequel il ouvrait la fête en début d’année [lire notre chronique du 2 février 2025], Calixto Bieito s’illustre par une Walküre percluse de défauts comme de qualités. Sur des formats d’écrans instables surgit d’emblée une fébrile profusion d’images, signées Sarah Derendinger. Le fugitif Siegmund, arborant combinaison protectrice et masque à gaz, court dans la jungle des villes, sous un ciel vraisemblablement contaminé, tandis que brûle une surabondance d’effets lumineux, de part et d’autre. Le voilà échouant à l’étage, dans un appartement portant les stigmates de bombardements successifs, la guerre étant ici partout. Là-haut siègent un fauteuil cérémonieux, une forme de tailleur accueillant veste dignement décorée que surmonte une casquette d’officier. C’est là que Sieglinde, arme en main, rafraîchit le blessé. Dans le même appareil protecteur, Hunding entre à son tour, muni d’un bouquetin abattu que l’épouse saignera bientôt. Sous l’accoutrement (costumes d’Ingo Krügler), l’ennemi porte un costume croisé. Alors qu’au rez-de-chaussée de l’espace scénique sœur et frère précisent une intimité croissante, Hunding revêt l’apparat de la tenue militaire mais, saisissant ce qui s’accomplit ailleurs, dépèce rageusement le gibier. Jusque-là, tout va pour le mieux, par-delà une esthétique qui a le mérite d’être personnelle. De l’argument tout y est, y compris le Frêne. Après le premier entracte, la production se gâte. Les images de cerf traqué par les chiens à la gueule grimaçante, dans des teintes acides, préludent à l’incursion au Walhalla où l’on retrouve les innombrables enfantillages chers au metteur en scène. Certains gestes ne surprennent même plus, comme Fricka montrée en femelle lascive ou encore Wotan lui crachant au visage, Wotan tour à tour physiquement malmené par sa femme et par sa fille, gamine mal dégrossie jouant avec son cheval de bois. L’Acte III s’ouvre sur un face à face avec un petit robot aux yeux verts. De fait, les walkyries de la fameuse chevauchée sont-elles, elles aussi, des robots, avec leur gestuelle saccadée et des regards en loupiote. En surplomb d’un sol de cadavres, la succession d’images en secousses brutales et démultipliées donne le vertige sans qu’il soit bien aisé de voir vraiment quelque chose sur ce plateau considérablement encombré [photo ci-dessus]. La confrontation entre Brünnhilde et Wotan, enfin les adieux, font l’objet d’un ratage absolu, le père tout absorbé à sortir tant et tant de masques à gaz d’un sac plastique. Pour finir, il se fait maître forain aspirant à gérer les artifices, et la condamnée grimpe le colimaçon dans une fumée assez minable.
Au pupitre d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris en bonne santé, Pablo Heras-Casado, dont on garde le bon souvenir d’un Parsifal bayreuthien de haute tenue [lire notre chronique du 12 août 2023], soigne chaque traits solistiques de la partition, au fil d’une lecture allant nettement mieux que son Rheingold. Cependant, l’ensemble paraît encore terne, et aux différents épisodes de l’œuvre manque encore un liant qui naîtra sans doute au fil des soirées, si ce n’est après celles de la Götterdämmerung, voire pendant l’exécution du cycle complet en novembre 2026.
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