Chroniques

par gilles charlassier

Platée
comédie lyrique (ballet bouffon) de Jean-Philippe Rameau

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 24 mars 2022
PLATÉE, ballet bouffon de Jean-Philippe Rameau au Capitole de Toulouse
© mirco magliocca

Comme maintes choses, la vertu ne souffre pas facilement les excès. Le parti pris d’Hervé Niquet et de Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley et Dino [lire nos chroniques de King Arthur et de Don Quichotte chez la Duchesse], de mettre en avant les ressources comiques et théâtrales de Platée de Rameau [lire nos chroniques du 12 mars 2010 et du 24 mars 2014] bouscule le recueillement usuel des scènes lyriques, où la musique a le premier mot – et le dernier. Dans cette nouvelle production, présentée par le Capitole de Toulouse avant d’aller à Versailles, le chef français joue les maîtres d’ouvrage d’un spectacle qui se crée à vue, sollicitant la complicité des zygomatiques du public, lequel ne se fait pas prier. Ainsi apprenons-nous, avant le lever de rideau, que le ballet bouffon sera donné sans le Prologue, qui n’était d’ailleurs joué à l’époque de sa création qu’en présence d’un souverain dans la salle – aucune délégation n’était annoncée ce soir, à en juger par le résultat de la brève harangue sondagière –, ce qui a pour conséquence d’enchaîner les trois actes en un peu moins de deux heures, sans entracte. D’autres commentaires par laquelle la baguette interrompt la musique, interagissant avec Gilles Benizio, glissé dans la défroque d’un régisseur de plateau – en prime, un numéro avec son épouse Corinne –, viennent émailler la soirée, dans une dialectique entre scène et fosse prolongeant les parodies de la Foire baroque, passablement au-delà de ce qu’exige la causticité satirique de l’œuvre.

Dessiné par Hernán Peñuela et habillé par les lumières calibrées de Patrick Méeüs, le décor de favela napolitaine où sont transposées les illusions amoureuses de la laideronne nymphomane, ne manque pas de forcer le rire, de concert avec des costumes qui bousculent genres et élégances, conçus par les metteurs en scène. Il sert également d’écrin à la chorégraphie non moins alerte de Kader Belarbi [lire notre chronique du 24 octobre 2012 et notre entretien avec l’artiste] qui, en réinventant le vocabulaire de la danse baroque, participe, avec une réussite peut-être plus univoque, à la vitalité de la parodie – les corsages et les paillettes des travestissements sont aussi impayables qu’ils individualisent habilement les solistes du Ballet du Capitole, tout en offrant une alternative efficace aux options de Laura Scozzi dans le spectacle désormais légendaire de Laurent Pelly [lire notre chronique du 19 avril 2006].

Du rôle-titre, Mathias Vidal décline les émois et les prétentions ridicules avec une clarté d’émission au fait du style qui aurait vraisemblablement gagné en confort avec un diapason plus bas – 392 Hz au lieu du standard à 415 [lire nos chroniques des Indes galantes, d’Il ritorno d'Ulisse in patria, Cinq-Mars, Fando et Lis, Orlando paladino, Olimpie, Le comte Ory et Der Zwerg]. Dans une certaine générosité vocale [lire nos chroniques d’Il mondo alla roversa, Die Zauberflöte et Trois Motets], Marie Perbost déchaîne les extravagances de La Folie autant de ressources théâtrales que musicales, sans trop chercher dans celles-ci pour accroître celles-là. Pierre Derhet séduit sans réserve avec l’aplomb de Mercure et la plénitude du chant [lire nos chroniques de Robert le diable et d’Hamlet], que l’on retrouve dans la faconde du Momus de Jean-Christophe Lanièce. Le Cithéron de Marc Labonnette compense les relatives modesties du timbre par un instinct expressif indéniable [lire nos chroniques de Don Giovanni, Le bourgeois gentilhomme, Pénélope, Castor et Pollux, Trompe-la-mort, Le soulier de satin et Le nozze di Figaro]. Là où d’autres surlignaient non sans gourmandise les effets de manche déclamatoires, Jean-Vincent Blot fait confiance à ses moyens pour affirmer l’autorité de Jupiter [lire notre chronique de Madama Butterfly], ce que l’on retrouve dans la Junon hystérique et fardée de Marie-Laure Garnier [lire notre chronique d’Ariane et Barbe-Bleue]. La discrète Clarine de Lila Dufy, affublée d’une cornette conventuelle, ne manque ni de tendresse, ni de saveur. Sous la houlette d’Hervé Niquet, Le Concert Spirituel immerge les potentialités imitatives et comiques de la partition – synthèse inimitable de la science et du théâtre et sommet du genre dans la littérature musicale – dans l’élan d’effets parfois faciles, à la justesse parfois incertaine dans les attaques.

GC