Chroniques

par marc develey

Le bourgeois gentilhomme
comédie-ballet de Molière – musiques de Couperin, de Lalande, Lully et Telemann

Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 22 juin 2012
Le bourgeois gentilhomme, spectacle de Denis Podalydès
© pascal victor | artcomart

Une bougie éclaire un lutrin. Dans une lumière à la Rembrandt ou de La Tour, le chantre fredonne sur la partition qu’il compose. « Je languis... » : paisible ouverture vite rompue par les entrées décidées des maîtres de musique et à danser (Julien Campani et Thibault Vinçon). Leurs diatribes sérieuses sur ce qu’il en est du commerce des arts sont vite remplacées par une bouffe alerte animée des pitreries coléreuses d’un Monsieur Jourdain électrique (Pascal Rénéric).

Comédie-ballet, Le bourgeois gentilhomme est, sur fond de sotie, l’objet d’une bouffonnerie baroque, les masques finissant par créer dans le quotidien du personnage éponyme une série de scènes à laquelle le portent à accorder créance son imaginaire perfusé de désirs pour les grands de ce monde, tout comme peu à peu nous rendent vraisemblables ces successions d’impossibles les clowneries que Molière-Podalydès nous destinent. La musique y est pour beaucoup, étendue par Christophe Coin pour compléter la partition initiale de Lully d’extraits de Couperin, de Lalande et Telemann.

Les musiciens sont intégrés à la scène : ils participent au faste que le drapier munificent souhaite donner à sa demeure – les « gens de qualités » en font tout autant. Ouverture à la française et danses (gigue ou gavotte) précèdent l’exécution du lamento baroque dont l’ouverture avait donné les premières mesures. Cécile Granger compense un soprano un peu serré par une diction impeccable, laissant son espace à la préciosité toute d’époque du texte. De grimaces en assoupissement, le Sieur Jourdain lui vole évidemment la scène. Les ponctuations orchestrales, drolatiques sur la bataille de l’Acte II entre les trois maîtres, font un contrepoint parfois plus ironique au texte – ainsi de la musique accompagnant le passage de l’habit, ouverture royale « à la française » (Acte II, scène 5).

L’Ensemble Baroque de Limoges incarne ainsi un charmant orchestre d’intérieur, tout en endossant encore le rôle d’un narrateur en connivence avec le public. Le son est frais, parfois un peu languide, voire un peu plat sur les fins de phrase, mais détourant toujours une rhétorique Grand Siècle fort convaincante. Les parties chantées, masques et pastorales, ouvrent rapidement l’espace à une dimension plus onirique que la mise en scène, fusionnant chanteurs et danseurs, peut accroître encore (pastorale de l’Acte I, Scène 2). Romain Champion compense un timbre un peu acide et parfois mal assuré par un sens aigu du texte, tandis que le très généreux baryton de Marc Labonnette enchante, littéralement. La contagion de la musique à l’espace s’empare des mots même lorsqu’à l’Acte II, Scène 10 ; Denis Podalydès reduplique le fugato des répliques que s’échangent Lucile et Cléonte, Nicole et Covielle en diverses variations émotionnelles – procédé d’une virtuosité certaine, qui paraît un peu forcé, sur la longueur.

Dans l’ensemble, tout ceci est plaisant, et, pour peu qu’on se laisse aller à la farce sociale, on y rit bien volontiers de jeux d'acteurs souvent burlesques. Les morceaux des derniers actes – cérémonie d’intronisation à l’humour... médiéval et ballet final – nous entraînent loin, jusqu’au « tremblé » désarticulé et fragile des chorégraphies de Kaori Ito, admiré dans Au revoir Parapluie de James Thierrée, qu’on retrouve ici dans une composition d’un baroque tout contemporain, qui rappellera plus facilement, non sans émotion pourtant, le Songe shakespearien que l’exotisme factice des Turcs de Molière.

MD