Chroniques

par bertrand bolognesi

Les Indes galantes
opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau

Münchner Opernfestspiele / Prinzregententheater, Munich
- 26 juillet 2016
Sidi Larbi Cherkaoui met en scène Les Indes galantes à la Bayerische Staatsoper
© wilfried hösl

Est-il si évident au public du XXIe siècle de recevoir le deuxième ouvrage que Jean-Philippe Rameau conçut pour le théâtre ? Rien n’est moins sûr, tant la vogue française de l’opéra-ballet, active au premier tiers du XVIIIe, semble loin de ses habitus comme de ceux des maîtres d’œuvre d’aujourd’hui. Créée le 23 août 1735 à l’Académie royal de musique où elle bénéficiait d’une luxuriante scénographie signée Servandoni, la pièce connut alors grand succès. Depuis ? Elle tint fièrement l’affiche trois décennies durant, puis on l’oublia. Certes, le ballet garda longtemps une place de choix dans la facture opératique française, mais jamais à la mesure de l’insécable intrication qui en fit le sel dès l’Europe galante d’André Campra (1697). Les modes évoluent, le goût change et le ruban précieux hier est guenille au lendemain. Ressusciter les opus d’antan mérite louanges, cela va sans dire. Quant à le faire sur une scène d’aujourd’hui, c’est une histoire.

Un peu plus au nord de la capitale bavaroise se jouèrent il y a quelques années des Indes galantes d’assez piètre inspiration dont le désir d’imprégnation contemporaine n’avait pas assuré la réussite [lire notre chronique du 4 mai 2012]. Ce à quoi n’atteignait pas la coproduction de Laura Scozzi pour Nuremberg et Toulouse ne l’est pas plus par celle de Sidi Larbi Cherkaoui à la Bayerische Staatsoper, dont la première eut lieu avant-hier, dans le cadre du prestigieux Münchner Opernfestspiele. La tentative de former diégèse entre les différentes entrées est vite contredite par la nature de l’ouvrage, de sorte qu’elle paraît se tendre jusqu’à l’obstination dans une posture stérile qui se fait vite exaspérante. Enfin, la légèreté de ton de ce qui demeure divertissement côtoie difficilement l’évocation de l’actualité internationale, celle des années 1940 et ses bruits de guerre autant que celle de l’été dernier avec l’arrivée en masse de réfugiés sur les territoires allemand et français – la gymnastique subie par le matériau ancien et par la gravité de l’Histoire apporte ni réflexion ni questionnement, si bien que le résultat, si efficacement mis en boîte par Anna Viebrock (décors) et Greta Goiris (costumes), semble sourire de tout avec une morgue assez peu recommandable.

Qu’à cela ne tienne, c’est de musique qu’il s’agira, le Prinzregententheaterpromettant de faire sonner ce soir ces Indes galantes que décidément nous nous promettons de ne plus goûter qu’en version de concert, débarrassées de leur trop encombrant cahier des charges que chorégraphes et metteurs en scène ne sauraient honorer, quand bien même par un contre-pied rebelle. Sous la férule avisée de Detlef Bratschke, les artistes du Balthasar-Neumann-Chor de Freiburg offrent une prestation fort satisfaisante dans la nuance, la diction et la vaillance. De même la quarantaine de musiciens du Münchner Festspielorchester nous vaut-elle une exécution irréprochable de style dont la vigoureuse énergie restera dans les esprits. La direction concentrée et investie d’Ivor Bolton favorise une prosodie instrumentale tout à fait remarquable, qui dérive du chant et invite la danse. De fait, la proposition chorégraphique affirme une joliesse qu’on ne boudera pas, sans être jamais déterminante pourtant.

Enfin, c’est vraisemblablement l’inégalité du plateau vocal qui ternit la soirée. L’effort commun de déclamation du français n’y est pas négligeable, surtout de la part de chanteurs pas tous francophones ; ce n’est donc pas un manque d’unité stylistique qui entache la représentation. Hébé puis Zima trouvent en Lisette Oropesa l’agilité et l’autorité idéales, doublées d’une présence attachante. De même faut-il saluer chaleureusement François Lis (Huascar et Alvar) et, surtout, l’excellent Cyril Auvity qui prête à Valère et Tacmas clarté du timbre et malléabilité de l’inflexion, sans oublier un engagement scénique certain. Enfin, la jeune basse koweitienne Tareq Nazmi livre ses rôles (Osman, puis Ali) de ce grain personnel qui le signale avantageusement à l’oreille.

Est-ce là tout ? Craignons de devoir l’avouer, en effet.
Il arrive qu’à vouloir épargner un rôle desservi par la méforme ou l’erreur de distribution la chronique se taise. Ce charitable mutisme fait-il sens lorsque plus de la moitié du casting ne satisfait pas ? Ainsi déçoivent les forçages répétés d’Elsa Benoit (Émilie), l’instabilité déconcertante de Mathias Vidal (Carlos et Damon), le tout-cuit de Goran Jurić (Bellone), le chant curieusement mené d’Anna Prohaska (Phani et Fatime) – grave somptueusement envahissant, aigu strident, disgracieux, quand le médium est cruellement absent –, enfin l’Amour impossible d’Ana Quintans qui jamais n’est certain de la note sur laquelle bat son cœur. Pour terminer sur meilleure impression, applaudissons une grosse dizaine de danseurs qui aident à passer le temps.

BB