Chroniques

par bertrand bolognesi

Metropolis, film de Fritz Lang
Martín Matalon | création française de Metropolis rebooted

réalisation et technique Ircam, Orchestre de Paris, Kazushi Ōno
Philharmonie, Paris
- 19 mai 2023
création française de METROPOLIS REBOOTED de Martín Matalon
© dr

Dans le cadre d’un week-end Futurismes, la Philharmonie de Paris propose sept rendez-vous avec un sujet diversement traité, que ce soit par le groupe de musique électronique Zombie Zombie ou à travers plusieurs ateliers éprouvant ses divers aspects. En ouverture, ce vendredi soir, la projection du fameux film de Fritz Lang, Metropolis, réalisé en 1925 et 1926 sur un scénario de Thea von Harbou d’après son propre roman. Et plutôt que d’accompagner ce muet par la musique spécialement composée par Gottfried Huppertz à l’époque [lire notre chronique du 14 juillet 2019], c’est à créer la nouvelle mouture de celle de Martín Matalon que s’ingénient les artistes de l’Orchestre de Paris et ceux de l’Ircam.

En effet, après une version pour seize musiciens et électronique créée en 1995 et révisée en 2011 [lire notre chronique du 26 avril 2014], le compositeur argentin se voit commander Metropolis rebooted par la phalange parisienne et le Gürzenich-Orchester Köln qui lui donnait publiquement le jour, sous la battue de François-Xavier Roth, le 16 février dernier. Cette fois, quatre-vingt-cinq instruments sont convoqués par un maître d’œuvre féru de cinéma, comme en témoignent ses pages conçues pour trois chefs-d’œuvres de Luis Buñuel – Un chien andalou (1929), L’âge d’or (1930) et Las Hurdes (1933) [lire nos chroniques du 13 mars 2005 et du 27 mars 2003] – puis, plus récemment, pour le fort drôle Die Austernprinzessin d’Ernst Lubitsch (1919) [lire notre chronique du 22 février 2019]. Nous découvrons donc une partition plus riche encore que celle entendue il y a une dizaine d’années, maniant avec maestria la ciselure des timbres comme le recours à des effets plus massifs dans les sections obstinées, voire répétitives. L’invention électronique – informatiquement réalisée par Thomas Goepfer [lire notre critique de Lab.Oratorium], rendue effective par Étienne Démoulin [lire nos chroniques de Nei rami chiari et de Sonus ex machina] avec la complicité de Luca Bagnoli quant à la diffusion sonore [lire nos chroniques de Twist et de Come play with], tous trois acteurs à l’Ircam –, décuple encore l’exploration, ouvrant des horizons inédits qui enveloppent d’une aura affective, pour ainsi dire, les affres de la cité d’abord dominée par Joh Fredersen, puis par la créature du sinistre Rotwang, qu’incarne Rudolf Klein-Rogge dont le visage plus qu’inquiétant impressionnait dans le rôle du Mabuse de Norbert Jacques, adapté par le même Fritz Lang en 1922 et en 1933 [lire notre chronique du 20 mars 2019].

N’hésitant pas dans le Prologue à s’appuyer sur l’image pour articuler son œuvre selon de rares effets illustratifs (le sifflement des cheminées, par exemple), certaines identifications subliminales (le côté rituel, ancestral et presque oriental lorsqu’on voit poindre les esclaves et, surtout, lorsque la machine s’emballe et que Freder est frappé d’une hallucination puisant dans le culte de Moloch tel qu’évoqué par le troisième livre de la Torah), voire une synchronicité plus directe avec le geste des protagonistes sur l’écran, Martín Matalon abandonne peu à peu ces accroches – notons toutefois certains instruments dont la couleur peut être connotée d’Entertainment dans les débauches mondaines auxquelles participent le double de Maria, Lilith mécanique bientôt surnommée le diable – et déploie son imagination en une épopée musicale qui prend ses distances pour englober l’argument et son développement dans une vue plus large, menant jusqu’à l’à-fleur-de-peau de la catastrophe. Ainsi, après plusieurs étapes déterminantes [lire notre entretien de 2014], le compositeur signe-t-il ce que tout invite à considérer comme l’état définitif de son Metropolis, magistralement défendu par l’Orchestre de Paris placé sous la direction soignée de Kazushi Ōno, profitant de chaque nuance avec un appétit contagieux, en chef d’opéra habitué à servir une dramaturgie [lire nos chroniques de Khovantchina, The Bassarids, Julie, The rake’s progress, Król Roger, Manon Lescaut, Le nez, Macbet, Erwartung, L’enfant et les sortilèges, Fidelio, Dialogues des carmélites, Les contes d’Hoffmann, The turn of the screw et Lady Macbeth de Mzensk]. Un grand moment que cette première française !

BB