Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2018 – épisode 1
quatre créations, signées Bång, Fedele, Mundry et Stroppa

SWR Vokalensemble, Florian Helgath – SWR Sinfonieorchester, Pascal Rophé
Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 19 octobre 2018
Ouverture des Donaueschinger Musiktage 2018, sous la direction de Pascal Rophé
© ralf brunner

Pour la troisième année consécutive, immersion dans la création aux passionnantes journées musicales de Donaueschingen. L’édition 2018 est placée par Björn Gottstein, directeur artistique des Donaueschinger Musiktage, sous le signe de la robotique et des changements (sinon de l’évolution) que leur développement et leur utilisation apportent aux comportements sociaux. Le geste technique du compositeur, mais aussi sa pensée, ne se placent pas en faux de cette modification considérable. Le concert inaugural fait interagir soliste et orchestre, l’orchestre et l’électronique, ainsi que la composition par la programmation informatique, et, pour certaines pièces, trouve son inspiration dans l’actualité.

Comme d’habitude [lire nos chroniques du 16 octobre 2016, puis de l’édition 2017, épisodes 1, 2, 3, 4, 5 et 6], les commandes de la SWR sont à l’honneur, naturellement, avec, ce soir, quatre premières mondiales. Air on air pour cor de basset et orchestre est la réponse d’Ivan Fedele à une demande de la SWR en collaboration avec l’Orchestra Regionale Toscana. On retrouve, sous la battue de Pascal Rophé, le raffinement de l’écriture de l’Italien, dès une attaque qui implique aussi le soliste, Michele Marelli, dont chaque accent s’accompagne d’une intervention du piano ou/et de percussion-clavier. Passé un début assez calme, l’œuvre s’emporte et gagne dans le jacassement spécifique de l’instrument-vedette une énergie qui détermine et contamine tout l’ensemble. Un passage presque suspendu dans un surplace intriguant vient ensuite, qui ne se départit pas de l’intensité préalable. Le rythme s’emballe alors, dans une espèce de scherzo furioso qui sollicite Marelli jusqu’au déchaînement de cellules répétitives. Fedele fait se succéder des sections calme et vives, puis revient au flottement aérien du commencement, pour conclure.

splinters of ebullient rebellion (éclats de rébellion bouillonnante) pour orchestre, commande conjointe de la SWR et de la Kungliga Filharmonikerna Stockholm, débute par le bruit d’une des quatre machines à écrire. Par le frottement frénétique des cordes, la compositrice suédoise Malin Bång réinvente en musique ce foisonnement d’information qui surchauffe les réseaux sociaux. Percussions violentes et cuivres qui grondent activent une rumeur grandissante. Les échanges plus sournois des souffles et de l’imperturbable tic-tic de la machine s’étendent dans le frappement des clés des instruments. Au cœur d’un moment essentiellement bruitiste, les échos étouffés de deux boites à musique prennent progressivement de l’importance. Avec une dizaine d’harmonicas, d’autres accessoires et un cluster formé par la voix des musiciens, sans oublier des modes de jeu incongrus, on peut parler d’un orchestre enrichi. Ce bouillonnement des influences et manipulations des opinions est achevé par de petits sons chuchotés.

Sous la direction de Florian Helgath, le SWR Vokalensemble crée Mouhanad. À partir du témoignage d’un réfugié syrien, l’Allemande Isabel Mundry a imaginé cette page chorale qui transmet le déracinement et les difficultés de s’intégrer à une autre culture, comme celle du pays d’accueil à intégrer une autre culture. Les phrases sont proclamées, insistant sur Ich, tandis que les partitions sont grattées ou brossées (il faudrait être à côté des choristes pour savoir exactement ce qu’ils font). Dans un tissu austère, le chant tente une timide percée. Mais le ton doit rester sévère. Sans doute la pièce aurait-elle gagné à ne pas s’étaler sur plus de vingt longues minutes.

Commandé à Marco Stroppa par Françoise et Jean Philippe Billarant, l'Orchestre de Paris et le Südwestrundkunk Sinfonieorchester qui le fait naître aujourd’hui, Come play with me est écrit avec l’électronique. Carlo Lorenzi en est le concepteur-informaticien à l’Ircam, et Luca Bagnoli l’ingénieur du son. Un totem de haut-parleurs diffuse la matière sonore, comme c’est souvent le cas de la musique de Stroppa [lire nos chroniques des 17 juin et 6 novembre 2009, du 19 mai 2012 et du 18 janvier 2014], qui ne dédaigne pas, par ailleurs, l’accordéon (ici Teodoro Anzellotti), sans doute pour la nature particulière du son, intermédiaire, dans la perception commune, entre son acoustique et son électronique. En empruntant son titre à un poème de Yeats qui déclare son amour aux créatures de la nature, le compositeur situe peut-être le jeu entre l’orchestre et l’électronique comme entre humains et animaux, sans que l’on devine ce qui relève de l’un et de l’autre. En tout cas, il déclare son amour du son et du beau son, avec un génie inventif hors du commun !

HK