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Chroniques
L'âge d'or
film de Luis Buñuel – musique de Martín Matalon
Avec deux soirées consacrées au compositeur argentin Martín Matalon, Les Percussions de Strasbourg concluent magistralement leur présence parisienne de ces derniers jours. Nous retrouvons le cinéma de Luis Buñuel grâce à cette projection du mythique Âge d'Or – commandé au maître, alors encore surréaliste, par Charles de Noailles en 1930. Film à maintes reprises délicieusement irrévérencieux, il fut interdit par les autorités gentiment tournées en ridicule. On y trouve déjà les motifs buñueliens, comme les ors décatis de l'Église face à la vive énergie du peuple ou les joyeux bon-dieux-diables (pensez à La voie lactée), etc.
Martín Matalon est passionné de cinéma. On se souvient de l'édition 1997 du festival Musica de Strasbourg qui proposait une vaste partition (près de deux heures) d'une riche inventivité pour seize musiciens et bande (1994, crée au Théâtre du Châtelet), illustrant Metropolis de Fritz Lang. Il y avait savamment intégré des sons de provenances inhabituelles (de cultures éloignées, par exemple), les structurant selon les contraintes précises et exigeantes qu'impose le montage du film avec ses rythmes heurtés, s'autorisant à peine l'usage du leitmotiv wagnérien, sans autre forme de da capo, reprises ou autocitation. On put entendre une pièce plus récente (1996) quelques jours auparavant, Las siete vidas de un gato pour huit instruments et électronique (dispositif créé à l'Ircam), destinée à la projection du Chien Andalou, frère ainé (1927) du film de ce soir, les scenarii étant fruits d'une collaboration entre Luis Buñuel et Salvador Dalí. L’on constatait alors, dans le travail du musicien, une préoccupation moindre pour les considérations rythmiques, tenant compte néanmoins de la rapidité vertigineuse des plans de Buñuel, mais sans soumission, créant une sorte de métadiscours musical par delà le film. C'est plus dans la sonorité qu'on put trouver une analogie avec la violence de certaines images.
Pour L'Âge d'Or, Matalon écrit en 2002 Le Scorpion pour piano, six percussions et dispositif électronique, créé à Strasbourg dans le cadre de Musica. Depuis, l’œuvre connaît une carrière se développant de plus en plus, les Percussions la promenant de Strasbourg à Paris via Bruxelles, Venise, Udine, Reims, Metz, Pise, Milan, Reggio-Emilia et l'Angleterre, avant de la présenter encore à Ljubljana et Moscou.
Ce travail résulte d'une collaboration active du Musée National d'Art Moderne et du Centre Pompidou, pour la restauration du film, faisant intervenir Micky Sébastian et Emmanuel Jacomy pour la postsynchronisation, Frédéric Prin pour le mixage (Ircam), et Axel Röbel, Tom Mays et Romain Mules dans la restauration des dialogues originaux (Ircam).
Au début du film, on assiste à une leçon sur la vie du scorpion, durant laquelle les charmantes bestioles se poursuivent, se battent, se tordent, en un mot : grouillent sur la toile. Le voyage sonore proposé par le compositeur prend en partie appui sur ce commencement, comme sur un certain rythme des passages d'impureté sur la pellicule. On y sent, peut-être plus qu'ailleurs, l'influence de Tristan Murail. Mis à part quelques effets directement drôles – comme une détonation ou un bruit de cloche lorsque la tête du personnage percute une vasque en se levant promptement sous le coup de l'indignation – la partition n'est pas à proprement parler illustrative. Elle suit les divers climats du film, tout en vivant par ailleurs des extensions qui ne renvoient plus au prétexte. On apprécie autant l'intervention du pianiste Dimitri Vassilakis que la performance des Percussions de Strasbourg.
BB