Chroniques

par stéphanie cariou

Igor Stravinsky
The rake’s progress | La carrière d’un libertin

2 DVD Opus Arte (2008)
OA 0991 D
Igor Stravinsky | The rake’s progress

The Rake's Progress d'Igor Stravinsky est particulièrement servi par le DVD, deux versions existant chez Arthaus Musik. Il s'agit ici d'une captation du Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles. L'œuvre fut inspirée au musicien lors d'une exposition visitée à Chicago en mai 1947, consacrée au peintre et graveur anglais William Hogarth, où il découvrit une série de tableaux datant de 1735 : Rake's Progress. Entouré du poète anglais Wystan Auden et de Chester Kallman, homme de théâtre solide, qui se chargèrent du livret, Stravinsky mit environ trois ans à composer son opéra. Le sujet reste le même, mais certaines choses ont été un peu modifiées : par exemple, Sara Young, la jeune fille du tableau est devenu Anne Trulove, qui ne vit plus chez sa mère mais chez son père. La création eut lieu le 11 septembre 1951 à la Fenice de Venise, avec Elisabeth Schwarzkopf dans le rôle d'Anne, sous la direction du compositeur lui-même. Certains reprochèrent à cet opéra néoclassique de n'être qu'un pastiche d'opéras de Mozart, comme Cosí fan' tutte ou Don Giovanni. Mais, tout en reprenant une forme classique, il n'en est pas moins merveilleusement bien écrit.

Robert Lepage, artiste de cirque, transpose l'action dans les années cinquante, à l'époque où fut composée l'œuvre. La scène initiale du premier acte se déroule dans un désert, avec un puits de pétrole en arrière plan, la seconde scène sur un plateau télévision. Le deuxième acte nous emmène des abords d'une caravane à ceux d'un garage, s'achevant sur la terrasse d'une luxueuse villa que l'on retrouve au suivant. C'est dans un cimetière de western que se déroule le duel des cartes qui mène à l'asile final. Cette mise en scène contient de nombreuses références au cinéma et à la télévision, à Hollywood, à Las Vegas (plutôt qu'à Londres). L'aspect minimaliste et les couleurs un peu fauves des décors peuvent surprendre ; plus riches, les costumes sont étrangement colorés. On notera une certaine maladresse dans la direction d'acteurs, parfois un peu statique, même si les visages sont ingénieusement filmés.

Les chanteurs sont bons, à commencer par Laura Claycomb. Très crédible physiquement, avec un visage expressif, elle joue une Anne fragile et mature. Son soprano lyrique est agile et fourni. Dans le rôle de Tom, Andrew Kennedy a une voix bien conduite, un peu raide dans les aigus ; son personnage est frustre et blasé, mais très émouvant lors de la scène finale. William Shimell est un Nick parfaitement inquiétant ; la voix, sombre et précise manque un peu de projection. Dagmar Pecková, mezzo très ample, est une Baba présente et comique. Avec Darren Jeffery en Trulove austère, Les seconds rôles sont convenablement tenus et les chœurs bien chantants. L'Orchestre Symphonique de la Monnaie, dirigé par Kazushi Ono, est luxuriant et dynamique.

SC