Chroniques

par irma foletti

L’ange de Nisida
opéra de Gaetano Donizetti

Festival Donizetti Opera / Cantiere del Teatro Donizetti, Bergame
- 21 novembre 2019
Création mondiale de "L'ange de Nisida" de Donizetti à Bergame !
© rota | fondazione donizetti

À quand remonte la création de L’ange de Nisida, opéra en quatre actes de Gaetano Donizetti ? Réponse : au 18 juillet 2018, au Covent Garden de Londres [lire notre chronique] ! De cet ouvrage composé pour le Théâtre de la Renaissance, à Paris, les répétitions musicales étaient bien engagées pour une première en 1840, mais dont la date se voyait repoussée à plusieurs reprises. Finalement, le théâtre se déclarait en faillite en mai 1840, ce qui empêcha la création. Et ce n’est qu’en 2018 que, grâce aux travaux de la musicologue Candida Mantica, les auditeurs purent entendre cette partition, à l’occasion de concerts programmés par la Royal Opera House, heureusement captés par la firme anglaise Opera Rara qui l’édita en coffret. Si Londres eut la primeur de la musique, le Festival Donizetti Opera de Bergame peut se prévaloir de la première mondiale scénique.

Le dispositif scénique est, ce soir, très particulier, puisque la représentation se déroule au cantiere del Teatro Donizetti, c’est-à-dire dans un chantier. En travaux de rénovation depuis bientôt deux ans, le Teatro Donizetti fut fermé lors de l’édition 2018 du festival : c’est donc une salle complètement bouleversée qui reçoit le public, avec une jauge resserrée. Les spectateurs sont assis aux trois premiers niveaux de loges, ainsi que dans une tribune implantée sur scène, derrière une petite statue du compositeur. Le parterre fait office d’immense plateau de jeu, l’orchestre gardant sa place habituelle, mais avec le chef face à la salle. Le quatrième niveau de loges est occupé par les choristes qui lancent, en début de représentation, des feuilles et des fleurs vers le parterre.

La mise en scène de Francesco Micheli [lire nos chroniques d’Il killer di parole, Adriana Lecouvreur, Lucia di Lammermoor et La creazione del mondo], par ailleurs directeur artistique de la manifestation, s’appuie sur diverses projections au sol – fleurs, pieuvre, cartes de Naples, de l’île de Nisida, armoiries royales, etc. Le parterre est jonché de feuillets musicaux, figurant, comme l’indique Micheli dans le programme de salle, le formidable travail de reconstitution de la musicologue Candida Mantica dans la remise en ordre du matériel musical, qui s’apparente « à un film d’Indiana Jones ». Avant la première note de musique, quatre sbires menaçants, couteau en main, défient Leone, comparses omniprésents façon Camorra napolitaine qui, à la conclusion de l’opéra, emporteront le corps sans vie de Sylvia, celle que l’on surnomme l’ange de Nisida. Les solistes ont visiblement reçu la consigne de servir à tour de rôle chaque spectateur dans chaque partie du théâtre et tournent beaucoup sur eux-mêmes, en faisant plusieurs changements de cap à 360 degrés, y compris pendant les airs. Ceci est aussi vrai pour les duos, par exemple le duo d’amour entre Sylvia et Leone qui se rapprochent, s’éloignent, se retrouvent parfois dos à dos à bonne distance, ou encore celui entre Sylvia et le roi Fernand : il tombe la veste, déboutonne la chemise jusqu’au nombril, arrache la robe de sa maîtresse, la porte dans ses bras tout en chantant et tournoyant. Pour l’auditeur, la position idéale est celle du chanteur allongé sur le dos, le chant atteignant de manière égale l’oreille de chacun. Le metteur en scène en use sans en abuser, les interprètes ayant déjà suffisamment de difficultés à surmonter ici. La première partie s’achève sur le plus important mouvement de décors de la scénographie d’Angelo Sala [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia et d’Il castello di Kenilworth], avec le lustre qui descend pendant que le plancher s’écarte en son milieu, ouvrant une fracture plus sombre. Les deux actes suivants proposent un contraste assez marqué : le revêtement a été complètement retiré, montrant un sol brillant plus favorable à l’acoustique, le chœur va et vient sur le grand plateau, dans les costumes très réussis de Margherita Baldoni, des habits fort colorés de gens de cour, en papier, que l’on déchire à la fin du troisième acte.

La distribution vocale est à la hauteur de l’évènement, avec une qualité de français satisfaisante dans l’ensemble, à l’exception du soprano Lidiia Fridman en Sylvia, toute jeune chanteuse (vingt-trois ans !) qui peut évidemment progresser dans sa prononciation. Elle entre en scène en petite robe satin couleur chair, deux ailes blanches dans le dos. La voix est magnifique, dotée d’un timbre riche et homogène de format lyrique, idéal pour ce répertoire et, mieux encore, pour le jeune Verdi. Son amoureux Leone est incarné par le ténor Konu Kim dont l’instrument s’épanouit remarquablement, en particulier dans un aigu brillant, avec d’infimes accents sanglots, bien en situation.

La diction du baryton Florian Sempey est un régal, en Don Fernand [lire nos chroniques de Madame Sans-Gêne, Alceste, Maria Stuarda, Il barbiere di Siviglia, Les Huguenots et Les Indes galantes]. La voix est projetée avec une puissance insolente, le style appliqué, dans ce rôle qu’on apprécie grandement, en dehors de ses nombreux Figaro rossinien ! Don Gaspar est un emploi de caractère bouffe – un air a d’ailleurs été réutilisé dans Don Pasquale, trois ans plus tard –, dévolu à Roberto Lorenzi, dont la vis comica peine à fonctionner pleinement. Le baryton-basse s’avère bien timbré, vaillant, avec un français correct. La basse Federico Benetti assure le rôle du Moine, voix autoritaire qui convient à ce personnage menaçant [lire nos chroniques de Falstaff et d’Agnese]. L’instrument bouge tout de même davantage dans le registre aigu.

Enfin, il faut tirer un grand coup de chapeau au chef Jean-Luc Tingaud [lire nos chroniques de L’heure espagnole, Angélique et Sapho], à la tête de l’impeccable formation du festival, l’Orchestra Donizetti Opera. Il doit assurer une synchronisation spatio-temporelle périlleuse. Pour la partie chorale, il est bien aidé par Fabio Tartari qui relaie, au quatrième étage, tous les départs donnés au Coro Donizetti Opera. On connaissait déjà en partie la partition que Donizetti a heureusement pu réutiliser pour une petite moitié dans La favorite, créée en décembre 1840 à l’Opéra de Paris. La courte série de représentations (deux soirées) est filmée : le DVD est annoncé pour les prochains mois.

IF