Chroniques

par irma foletti

La creazione del mondo
spectacle de Francesco Micheli et Angelo Sala

Festival Donizetti Opera / Basilique Santa Maria Maggiore, Bergame
- 29 novembre 2018
La creazione del mondo, version italienne de Die Schöpfung, à Bergame
© gianfranco rota

Pourquoi donc jouer La creazione del mondo, version italienne de Die Schöpfung de Haydn, au Festival Donizetti Opera de Bergame ? Les raisons en sont sans doute multiples. En premier lieu, la version italienne sur un livret de Giuseppe Carpani, d'après le texte allemand de Gottfried van Swieten, avait été donnée en 1809 au Teatro della Società di Bergamo (aujourd'hui Teatro Sociale, situé dans la ville haute), en présence du jeune Donizetti âgé de onze ans, parmi les choristes.

Le compositeur Giovanni Simone Mayr était à l'origine du projet, lui qui par ailleurs initia la carrière de compositeur de Donizetti, en lui dispensant des lezioni caritatevoli, soit des leçons gratuites accordées à des jeunes garçons issus de familles pauvres. C'était effectivement le cas de Donizetti, une rapide visite de sa maison natale, qui comprend des pièces souterraines, sans fenêtres, suffit à juger de la misère des lieux. Mayr était maître de chapelle à la basilique Santa Maria Maggiore, le lieu du concert ce soir, et, symbole supplémentaire, ce 29 novembre marque également l'anniversaire de la naissance du cadet, en 1797 [lire nos chroniques de Lodoiska, Ginevra di Scozia, Medea in Corinto et Che originali !]. Plus précisément, il ne s'agit pas d'un simple concert puisque la soirée est scénographiée par Francesco Micheli et Angelo Sala.

Un voile blanc, horizontal, est tendu au-dessus de l'autel où trônent les forces musicales et chorales, sur lequel sont projetées différentes couleurs ou images en noir et blanc, réalisées par Francesca Ballarini. Le vélum ondule par moments, comme une voile gonflée par le vent, mais l'effet est très simplement rendu en tirant légèrement sur une ou deux cordelettes accrochées aux coins du tissu, dispositif qui a le bon goût d'éviter tout bruit parasitaire de ventilation. Les images illustrent les différentes étapes de la création : lumière, terre, corps célestes, eau, monde végétal, soleil, animaux, homme, avec en général un mot-clé (successivement luce, pioggia, mare, marosi, alpi, fiume, erba, sole…) et une figure stylisée en noir et blanc. Le procédé est à la fois didactique, léger, pas spécialement redondant avec le texte, et s'éloigne fort heureusement de la production vue au printemps 2017, signée La fura dels Baus, où la technologie sur le plateau (piscine, grue mobile, ordinateurs, vidéos intrusives) faisait passer la partie musicale et vocale en arrière-plan.

Natif de Bergame, Corrado Rovaris dirige I Virtuosi Italiani, pour un très beau résultat d'ensemble, dans une acoustique assez favorable [lire nos chroniques d’Il prigonier’ superbo, Otello et Lucia di Lammermoor]. Les moments doux sont rendus avec délicatesse et les passages plus grandioses joués sans déchaînements ; par exemple, pour la création du soleil, le chef donne une grande profondeur à la musique en faisant sonner les violoncelles et contrebasses. Les tempi sont en général plutôt rapides, et l’on assiste à une Création du monde plutôt joyeuse, pleine d'allant et sans doute moins solennelle que dans d'autres versions. Il faut d'ailleurs noter que la durée du concert excède de très peu une heure et trente minutes, les coupures opérées sur la version italienne représentant un bon quart d'heure par rapport à la version originale allemande.

Parmi les trois solistes, c'est la basse Luca Tittoto (Raffaele, Adamo) qui donne la meilleure sensation de plénitude dans ses moyens : le chanteur projette vigoureusement, avec la même qualité de grain entre ses graves profonds et des aigus vaillants, selon une ligne de chant soignée [lire nos chroniques de Tamerlano, Guillaume Tell et Ariodante]. Le soprano Angela Nisi (Gabriele, Eva) ne distille pas le même raffinement, se montrant plus inégal, entre quelques phrases joliment vocalisées dans la partie aigue et d'autres passages dans le médium où l'instrument semble manquer de soutien, voire de longueur de souffle. Lors de la création des oiseaux par exemple, la chanteuse paraît rencontrer des difficultés à alléger sa voix, les trilles ne sont pas vraiment aériens et le charmant gazouillis des oiseaux est bien mieux exprimé par la flûte. Le ténor Diego Godoy (Uriele) dispense une certaine autorité dans ses récitatifs, assure dans le registre central de sa tessiture, mais sonne moins puissamment dans le grave ; il perd de sa marge d'assurance sur les traits d'agilité dans les passages les plus aigus [lire nos chroniques de Cenerentola, Salome et Didone abbandonata].

Il est à noter que les trois solistes portent chacun une aile d'ange sur l'épaule gauche et ponctuent parfois leurs numéros en levant un bras au ciel. Ils interviennent tour à tour dans les deux chaires placées à gauche et à droite de l'autel, mais il faut reconnaître que lorsqu'ils viennent chanter en avant-scène, les imperfections décrites ci-avant s'estompent grandement, jusqu'à laisser apprécier les trois artistes sans aucune réserve !

Enfin, le Magyar Rádió Gyermekkórusa (Chœur de la Radio Hongroise), placé derrière l'orchestre, bénéficie d'une acoustique plus tamisée, ce qui tend à unifier les timbres, par pupitre et dans l'ensemble. On saisit en revanche plus difficilement le texte, en comparaison de la diction des trois solistes, très claire. Au final, pendant le duo entre Adam et Ève, on amène sur roulettes un pommier dans l'allée centrale, l'arbre est placé devant le chef à l'avant du plateau, puis le couple joue à cache-cache derrière les feuillages, avant de partir main dans la main, chassé par l'ange Uriel.

IF