Chroniques

par david verdier

Alceste
tragédie lyrique de Christoph Willibald Gluck

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 12 septembre 2013
un nouvel Alceste de Gluck à Garnier, signé Olivier Py
© agathe poupeney | opéra national de paris

Olivier Py fait d'Alceste une œuvre au noir dont il n'a de cesse de clamer le classicisme désenchanté. L'histoire de cette reine qui se substitue à son mari pour subir à sa place son sort funeste est éminemment moins baroque qu'Armide et n'atteint pas la perfection dramaturgique d'Orphée. Cette nouvelle production joue au sens propre et figuré sur plusieurs tableaux, avec une économie et une concentration visuelle très étonnantes. Pas de décor à proprement parler, juste de grands panneaux sombres et mobiles sur lesquels s'affaire une équipe de dessinateurs qui tracent à la craie paysages, bâtiments, perspectives, etc. Pour un peu, on y retrouverait ce style naïf et subtil qu'affectionnait Jean Cocteau dans les génériques de ses films ; dessinant et effaçant d'un même geste comme pour mieux célébrer la beauté de l'éphémère.

Ces lignes mystérieuses attirent le regard comme l'aimant, au point qu'on oublie parfois une direction d'acteurs relativement conventionnelle. Sans cesse Olivier Py place devant nos yeux les artefacts d'un memento mori qui dit volontiers son nom, accompagné d'une multiplication de phrases-type et de formules définitives (La mort n'existe pas, Seule la musique sauve, Anankè, etc.). Cette esthétique de la disparition et du monumental rappelle l'art étrange et antiquisant de Monsù Desiderio. Le meilleur exemple est donné par la présence tutélaire d'Apollon au sommet de la coupole de Garnier, émergeant d'une forêt de pilastres et de surfaces vermiculées. Le dieu apparaît en conclusion pour célébrer par la danse son triomphe dans une pluie d'or. Cette mise en scène souligne la froide beauté des lamenti compassés qui parcourent l'œuvre d'un bout à l'autre. Les redoutables Divinités du Styx qu'on implore à grands renforts de notes graves finiront par surgir de la fosse avec des masques en forme de tête de mort au troisième acte – métaphore donjuanesque et maladroite dans sa réalisation, tant les décalages sont nombreux entre le chœur et l'orchestre (placé sur scène).

Le grand triomphateur de la soirée est assurément Yann Beuron. Désigné à la suite de la défection de Roberto Alagna, le ténor impose un Admète qui a appris auprès de Pelléas ce que le mot « distinction » signifie. La projection est splendide et la couleur rayonnante. Le contraste avec l'Alceste de Sophie Koch semble peser en défaveur du mezzo, si à l’aise dans Strauss ou Wagner. Avec pour seul étalonnage la profondeur abyssale du registre grave exigé par le rôle, on peut être déconcerté par une voix charnue qui se trouve prise en défaut dans ces zones périlleuses. Les difficultés qu'elle éprouve à assombrir la ligne vocale font l'effet d'un vêtement trop grand, flottant autour d'elle alors qu'elle a, de toute évidence, les qualités requises pour le remplir. Jean-François Lapointe surmonte le ridicule de la soutane pour camper un Grand-prêtre d'Apollon efficace, par l'effet et le volume. Il s'accorde parfaitement à un Coryphée équilibré et bien chantant – pur produit de l'Atelier lyrique… Stanislas de Barbeyrac, Marie-Adeline Henry et Florian Sempey sont éclatants de présence et de tenue. François Lis se rappelle à notre bon souvenir, même si l'Oracle n'a pas la dimension du rôle de Pluton dans Hippolyte et Aricie [lire notre chronique du 17 juin 2012]. Seul Frank Ferrari, en Hercule farceur et bateleur, pourra paraître moins boutonné et, du coup, moins précis dans ses intonations que le reste du plateau.

L’orchestre Les musiciens du Louvre se montre bien léger pour espérer souligner les innovations et les étrangetés de la partition. Marc Minkowski ne marque pas d'une empreinte indélébile une œuvre sombre, aux aspérités voulues et assumées par Gluck. La battue survole constamment les débats et maintient la ligne musicale dans d'agréable entrelacs, fort peu perturbants.

DV