Recherche
Chroniques
Il castello di Kenilworth | Le château de Kenilworth
melodramma serio de Gaetano Donizetti
Créé en 1829 au Teatro San Carlo de Naples, Il castello di Kenilworth est un opéra de la maturité de Donizetti, le premier à mettre en scène la reine Elizabeth I d'Angleterre. Si l'on évoque plus habituellement la trilogie Tudor, soit Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux, la pièce vue ce soir, que l'on connaissait sous le nom d’Elisabetta al castello di Kenilworth, est la première à convoquer la souveraine. Elle demeure très rare à la scène, avec tout de même, pour les amateurs, un enregistrement réalisé sur le vif en 1989 à Bergame, en compagnie de Mariella Devia (Elisabetta) et Denia Mazzola (Amelia).
Retour, donc à Bergame, presque trente ans plus tard, pour une représentation dont l'affiche alléchante a tenu toutes ses promesses, en premier lieu pour ce qui concerne les quatre rôles principaux. Présente lors de la précédente édition du Festival Donizetti Opera dans Rosmonda d'Inghilterra [lire notre chronique du 25 novembre 2016], Jessica Pratt effectue un retour gagnant en Elisabetta. Le soprano australobritannique excelle dans le répertoire belcantiste, alternant entre douceur des cantilènes et colère, voire fureur dans certaines cabalettes émaillées de quelques suraigus stratosphériques, dès son air d'entrée très impressionnant. Elle propose aussi des variations bienvenues dans les reprises, sur la ligne mélodique ou encore des trilles ajoutés et remarquablement tenus, parfois dans une ineffable nuance pianissimo [lire nos chroniques d’I puritani, Rigoletto et Semiramide]. L'autre soprano, Carmela Remigio (Amelia), sans doute dotée aujourd'hui de moyens moins spectaculaires, possède quant à elle le drame dans sa voix. La musicalité est remarquable. Elle négocie au mieux les vocalises, sur toute la longueur vocale du rôle [lire notre chronique du 30 avril 2017]. Le jeu des deux femmes est également bien différencié, entre une reine plutôt froide et hautaine envers sa rivale et Amelia qui exprime sa souffrance de manière tout à fait humaine, celle-ci dont le mariage avec Leicester, favori de la reine, reste caché à la connaissance de la souveraine.
Les deux ténors présentent également un fort contraste, en commençant par Francisco Brito (Leicester), timbre clair tout comme son élocution, qui use intelligemment d'une voix mixte dans les jolies cantilènes. Il soutient de même les cadences des cabalettes, bien qu’on le sente parfois un peu en limite d'abattage. Sa souplesse vocale, alliée à de bonnes capacités d'aigus, lui permet de passer agréablement les traits d'agilité [lire notre chronique d’Il signor Bruschino]. Distribué dans le rôle du méchant Warney, Stefan Pop possède un instrument plus large, une couleur plus sombre, aussi, qui confèrent une grande autorité à ses interventions scélérates [lire nos chroniques du 12 octobre 2012 et du 14 août 2014]. Amoureux d'Amelia, Warney la harcèle pour tenter de la faire céder à ses avances, puis ayant abandonné tout espoir, se résout à la tuer, mais ceci avant un lieto fine – chose rarissime lorsqu'Elizabeth I est en scène ! – où la reine pardonne aux gentils et punit le méchant. On remarque que la puissance des quatre solistes est loin d'être démesurée, ce qui n'est toutefois pas un handicap dans le Teatro sociale aux dimensions modestes, le volume le plus important – hormis les suraigus de Jessica Pratt – étant développé par Stefan Pop. La distribution est complétée par la basse Dario Russo (Lambourne) et Federica Vitali (Fanny), assurant deux rôles beaucoup plus modestes.
L'ensemble est placé sous la baguette de Riccardo Frizza, chargé par ailleurs de la fonction de directeur musical de la Fondazione Teatro Donizetti [lire nos chroniques d’I Capuleti e i Montecchi, Norma, Tancredi, Otello, Lucia di Lammermoor, Aida, Falstaff et d’Il pirata]. La fosse se met surtout au service des chanteurs et de l'œuvre, sans tirer la couverture à elle, les tempi sont précis et variés, le volume sonore souvent allégé pour faciliter la tâche des solistes. Les artistes du Coro Donizetti Opera se montrent vaillants et dynamiques, encore plus les hommes que les femmes, parfois moins aguerries dans le registre le plus aigu. Mieux que l'harmonica de verre pour l'air de Lucia di Lammermoor, ce sont des verres musicaux que joue le musicien placé dans la loge d'avant-scène, à jardin, pour accompagner le grand air mélancolique d'Amelia au troisième acte, Par che mi dica ancora. Ces verres effleurés à la surface par les doigts mouillés, qui répondent à la harpe, sont une pure merveille.
Dans la mise en scène de Maria Pilar Pérez Aspa, Amelia semble d'ailleurs un clone de Lucia dans sa grande scène de folie, l'air hagard, le sang en moins sur la robe blanche, quoiqu'elle prenne sur la table la grande nappe rouge dans les bras... Avant cela, la première image du spectacle est saisissante : un groupe d'hommes, en chemise blanche et pantalon noir, immobile comme dans un tableau flamand. Puis les choristes s'animent, rejoints par les femmes, et enfilent les riches et beaux costumes réalisés par Ursula Patzak, sortis de malles. L'action se déroule sur un praticable incliné – décors d'Angelo Sala –, les personnages en descendent parfois en avant-scène, en particulier la pauvre Amelia enfermée dans une prison que l'on pousse transversalement sur des roulettes. L’héroïne tourne comme une bête dans sa cage, des sanglots dans la voix, tandis que lors de la confrontation entre les deux dames, Jessica Pratt présente l'élégance et le port altier de la reine. Comme image finale, une grande grille se lève à la verticale à partir du praticable, séparant la reine, en avant-scène, du reste des protagonistes et choristes, une sorte d'enfermement et de fin douce-amère pour elle, après l'abandon de son amour pour Leicester. Une grande soirée d'opéra, et une bonne nouvelle : le spectacle devrait être prochainement édité en CD ou DVD. À suivre...
IF