Chroniques

par nicolas munck

Caterina Cornaro ossìa La Regina di Cipro
tragédie lyrique de Gaetano Donizetti (version concert)

Paolo Carignani dirige l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon
Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 22 juillet 2014
une rareté de Donizetti à Montpellier : Caterina Cornaro, tragédie lyrique
© luc jennepin

Fidèle à son ambition de donner à entendre quelques raretés et pépites du répertoire opératique, le Festival de Radio-France et Montpellier Languedoc-Roussillon nous plonge, et après exhumation des Zingari de Leoncavallo [lire notre chronique du 15 juillet 2014], dans les intrigues politico-amoureuses de la Reine de Chypre – une histoire qui, en 1841, avait déjà inspirées Franz Lachner et Fromental Halévy – à travers la tragédie lyrique Caterina Cornaro (en un prologue et deux actes) du compositeur cisalpin Gaetano Donizetti.

Comment expliquer que cette œuvre, qui ne manque pourtant pas de qualités musicales et d’un beau métier dramaturgique, soit si peu portée à la scène aujourd’hui (nous l’entendons ce soir en « version de concert ») ? Pour comprendre cette frilosité certaine, sans doute faut-il revenir au fiasco de la création napolitaine du 12 janvier 1844. Exténué et ne pouvant assister aux répétitions, ni même corriger les derniers détails d’orchestration de sa Caterina, Donizetti, qui ne manquait pas de lucidité, avait prédit cet irrémédiable naufrage campanien (« j’ai écrit pour un soprano, ils me donnent un mezzo ! […] Dieu sait quelle autre catastrophe a amenée la censure » écrit-il dans un courrier daté de 1844). Ré-agencé, coupé (musique et texte) et comportant de multiples ajouts, l’ouvrage fut repris l’année suivante (2 février) au Teatro Ducale de Parme où il remporta un franc succès.

Chose étrange, et malgré l’adjonction de nouveaux airs donnant assurément plus de cohérence à la ligne narrative, les modifications de la version de 1845 ne semblent pas prendre en compte le principal déséquilibre de cette Caterina : un prologue et un premier acte constituant un ensemble démesuré pour un second expédié en deux coups de cuillère à pot ! Sans parler de maladresse(s), ce traitement de l’argument donne néanmoins l’illusion d’une écriture « à la va-vite » s’étendant de manière exagérée sur le volet politique, d’alliances, de fourberies et d’amours déçues pour ensuite foncer sans détours, tête baissée, dans la dernière ligne droite du dénouement. Loin d’être anecdotique, c’est bien sur ce point que l’ouvrage pose de sérieux problèmes de représentation.

Du reste, et afin de pallier cette structure bancale, le festival se voit contraint de couper le premier acte entre la première et seconde partie de soirée. Par chance, le subterfuge fonctionne. Quid désormais de la question de la mise en scène ou plus exactement de cette « non mise en scène » ? Si certains spectateurs se sentent peut-être frustrés par l’absence d’incarnation scénique, nous trouvons, au contraire, que le concert rend parfaitement service à l’œuvre, plaçant au centre de toute chose le contenu musical avec beaucoup de lisibilité. Ainsi, et afin de ne pas brouiller la lecture de la scène, seules les entrées et sorties des différents protagonistes sont réalisées avec sobriété (nous sommes bien loin du baryton main sur le cœur des Zingari). Il faut croire que ce sont le livret et le sens du drame déployé dans cet opéra qui décontenança le public de la première représentation. Musicalement, l’œuvre tient sans mal et charme même l’oreille par la qualité de son écriture chorale et un traitement intelligent, redoutablement efficace, de l’orchestre. Cet opéra n’est « pas plus mauvais que les autres », dirons quelques mauvaises langues…

Assez peu séduit par la prestation de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, l’octuor vocal soliste, lui aussi soutenu par Paolo Carignani, chef solide et manifestement armé pour ce répertoire, offre en revanche de belles satisfactions auditives.

Au bel canto bien affirmé et « sur-virtuose », l’œuvre exploite avec gourmandise et délectation les registres extrêmes de chaque tessiture vocale. Nos premières pensées vont au soprano Maria Pia Piscitelli qui se sort avec aisance des lignes ornées et très exposées (nul écart n’est permis) d’un rôle-titre complexe et exigeant. De cette belle conduite à la vocalité fluide et élastique, nous retenons néanmoins un aigu puissant et bien projeté, mais dont le passage se fait parfois en force, rendant ainsi l’attaque et la justesse plus floutées. La cabalette du finale ultimo, périlleuse à plus d’un titre, se trouve cependant défendue avec beaucoup d’élégance, pour le plus grand plaisir d’un public passionné et à l’applaudissement en bandoulière. Initialement confié au Sicilien Ivan Magrì, le rôle de Gerardo, victime du cruel complot vénitien, est confié au pied levé à Enea Scala (Sicilien, lui aussi). Malgré une voix serrée et un brin tendue dans le registre haut, ce qui est aisément compréhensible dans ce contexte d’urgence, le jeune ténor convainc par un bel investissement du rôle et une instrument parfaitement adapté aux nombreux duos et quatuors qui jalonnent la partition. Son duo d’amitié (Acte I, Scène 5) avec Lusignano (Roi de Chypre) est un bel exemple de ses qualités de chambriste. Un remplacement de dernière minute géré avec brio, sérieux et beaucoup de professionnalisme.

Après avoir provoqué quelques sueurs froides sur ces premières interventions (notamment quant à la justesse), Franco Vassallo (Lusignano) donne ensuite toute sa mesure jusqu’à sa scène finale, à l’émotion bien palpable. Des rôles plus secondaires, soulignons les qualités vocales de la basse François Lis (Mocenigo, ambassadeur de Venise) qui, bien que manquant encore légèrement de brillance et de définition dans l’extrême grave, interpelle par une couleur singulière et fort travaillée. Enfin, le Chœur de l’Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon offre un visage plus rayonnant que dans nos souvenirs ; cette soirée l’associe au Latvijas Radio Koris (Chœur de la Radio Lettone). Si l’effet d’éloignement lié à la profondeur de plateau rend les attaques souvent imprécises, notons cependant une belle cohésion avec la sonorité de l’orchestre, qui fait plaisir à entendre.

Œuvre rare et au destin escarpé, Caterina Cornaro profite ici d’une réhabilitation optimale, soutenue par une production aux qualités réelles et incontestables [rediffusion disponible sur le site France Musique]. Elle est d’ailleurs accueillie par un public chaleureux, manifestement conquis et qui peut-être lavera l’affront historique de 1844.

NM