Chroniques

par laurent bergnach

Giacomo Puccini
Il trittico | Le triptyque

2 DVD Hardy Classic Video (2009)
HCD 4041
vision semi-réaliste de Luca Ronconi

Alors que la première version de La Rondine est mal accueillie à sa création, le 27 mars 1917 – comme dans les premiers temps qui suivent, d'ailleurs –, que l'Europe se déchire en un conflit qui s'éternise, Puccini ne se laisse pas totalement abattre et termine ce fameux trio d'opéras courts auquel il pense depuis une dizaine d'années. Plusieurs pistes littéraires sont explorées – les trois parties de La Divine Comédie, des nouvelles de Gorki – avant de renoncer à l'auteur unique et que se dessine le projet d'une variété d'ambiances : d'abord, susciter l'horreur à l'instar du Grand Guignol, puis faire rire après un intermède sentimental. Dès lors, Puccini songe à Wilde, d'Annunzio, Shaw ou encore Guitry. Tandis que divers librettistes s'occupent d'adapter La Houppelande de Didier Gold – dont Giuseppe Adami, à l'affiche de l'ouvrage évoqué plus haut –, c'est Giovacchino Forzano qui apporte au compositeur l'idée de Suor Angelica (fin 1916) et de Gianni Schicchi. La composition viendra donc à terme, de l'été 1915 au printemps 1918.

Si l'on compare l'ouvrage à d'autres créés cette même année 1918 – les minimalistes Château de Barbe-Bleue (Budapest) et Histoire du soldat (Lausanne) -, Il Trittico reste un ouvrage financièrement délicat à monter – vingt-deux voix de femmes, seize voix d'hommes et des chœurs –, malgré les différents rôles endossés d'une œuvre à l'autre. Ce 14 décembre, on s'étonne à peine que la première représentation ait pour cadre le Metropolitan Theatre de New York. Désargentée alors, la Scala se rattrape en présentant plusieurs fois le triptyque de 1922 à 2008, année de cette production signée Luca Ronconi. Enthousiasmante, sa vision semi-réaliste pourra être découverte en octobre 2010, à l'Opéra Bastille.

Globalement, les chanteuses s'en sortent mieux ici que leurs confrères. Irréprochable, Paoletta Marrocu offre expressivité et pétillant au personnage de Giorgetta, avec une fermeté commune à Anna Maria Chiuri, Frugola impactée et d'une présence scénique indéniable. On connaît assez l'onctuosité corsée de Barbara Frittoli et la beauté du grave de Mariana Lipovšek pour savoir d'avance qu'elles vont incarner à merveille Suor Angelica et sa terrible tante. Quant à elle, Nino Machaidze (Lauretta) est un soprano dramatique des plus efficaces. En face, on trouve un Michele aux suppliques touchantes composé par Juan Pons, le Schicchi sonore de Leo Nucci, mais aussi un Luigi bien trop vaillant proposé par Miroslav Dvorsky et le Rinuccio ni très souple ni très stable de Vittorio Grigolo.

En fosse, Riccardo Chailly mérite bien des éloges. Ne s'en tenant pas à la mélodie comme tant d'autres, révélant chaque détail d'une partition qu'on semble redécouvrir, il se dérobe au vérisme attendu pour faire balancer Il Tabarro entre un symbolisme à la Pelléas et un expressionnisme à la Lulu. Les moments chambristes livrent des traits de violons épurés, des bois étonnamment prégnants. De même, rappelant la faute de son héroïne sacrifiée, il teinte le cœur du triptyque de tendresse passionnée, à la limite du sensuel. Toute la modernité de Puccini éclate sur la dernière cueillette, de même que sa luxuriance dans l'ouvrage inspiré de Dante, où le chef apporte un rien de fantasque, osant des acidités réjouissantes.

LB