Chroniques

par gilles charlassier

Francesco Filidei à l’orgue, Claudia Chan au piano
œuvres d’Andre, Baba, Berio, Bertelli, Chamberlain,

Debussy, Ferneyhough, Hosokawa, Lanza et Scelsi
Festival de Royaumont / Abbaye, Réfectoire des moines
- 8 et 9 septembre 2018
le compositeur et organiste Francesco Filidei joue nos contemporains à Royaumont
© dr

Après le premier concert des compositeurs de l'académie Voix Nouvelles [lire notre chronique], c'est un récital de Francesco Filidei [photo], sur l'orgue du Réfectoire des moines, avec deux assistants également compositeurs à ses côtés, Yves Chauris [lire notre chronique du 28 septembre 2014] et Noriko Baba. De cette dernière, quatre pièces fonctionnent comme des intercalaires entre chacune des cinq pages du programme [lire nos chroniques du 11 avril 2015 et du 23 avril 2016].

Cloudscape (2000) de Toshio Hosokawa [lire nos chroniques des 6 juillet et 28 mars 2018, du 1er décembre 2017, du 27 janvier 2016, du 7 janvier 2015, du 10 février 2014, du 12 mai 2012, du 8 mai 2011 et du 25 juillet 2004] ouvre sur un lento dont l’éther expectatif évoque Ligeti, ce que l'élargissement progressif de la palette harmonique ne dément jamais. Ce que l'on peut décrire comme le premier intermède de Noriko Baba, lauréate de la Fondation Royaumont, Workout 1 (du recueil de Five workouts, miniatures crées en 2017 pour Radio France) contraste par une hétérogénéité assumée sinon ludique, fruit d'une exigence acrobatique explicite envers l'interprète qui doit aussi jouer de divers appeaux en simultané des claviers et du pédalier. On retrouve cet éclatement de la sévérité organistique dans les glissandi du quatrième numéro du cycle, après Negativo (2006) de Mauro Lanza, modulation sur l'illusion immobile d'un plein jeu qui s'échappe de son naturel hiératique [lire nos chroniques des 29 avril et 14 février 2016, du 20 novembre 2012, du 19 septembre 2011 et du 22 septembre 2009].

Fa-Si (1975) de Luciano Berio, qui requiert les deux assistants pour la registration, tire parti des ressources architecturales de l'instrument et ne laisse pas en repos la virtuosité et la synchronie des exécutants. Les deux derniers interludes de la compositrice japonaise, Doraemon et Kalavinka, qui ne démentent pas sa fantaisie, jusque dans des sifflements de verre et de Glaßharmonica, encadrent la Toccata della Madonna (2011) de Giovanni Bertelli dont on met en valeur l’efficace construction. In nomine lucis (1974) de Giacinto Scelsi conclut sur une fascinante immersion dont on a sans doute arrondi l'inouï des harmonies. L'émondement de la lettre ne corrode pas tout à fait l'expérience acoustique.

Le lendemain midi, la musique de Claude Debussy assure la fonction de contrepoint non contemporain au programme présenté par la pianiste Claudia Chan. Chacune des trois partitions d'aujourd'hui sont introduites par un prélude du maître d'hier, extrait du Premier Livre. Feuilles mortes contient rigoureusement une sensualité que La sérénade interrompue ne fera pas éclore hors d'une mécanique de précision, quand La cathédrale engloutie prendra l'allure d'une sage reproduction picturale, à la poésie prudente.

Commande de la Fondation Royaumont, Rejected ballet de Matthew Chamberlain, lauréat de Voix Nouvelles l'an dernier [lire notre chronique du 10 septembre 2017], s'articule autour de microévolutions des hauteurs et des intensités tout en affirmant une appréciable cohérence du discours. Si Opus contra naturam (2000) de Brian Ferneyhough, donné pour la première fois en France, fournit, avec une démonstration technique qui dépasse les intentions expressives, un exemple patent de ce que l'on a appelé la Nouvelle Complexité où la soliste souligne son savoir-faire, iv 1 (2010) de Mark Andre [lire nos chroniques du 29 avril 2018, du 26 septembre 2007 et du 28 septembre 2004] investit à l'extrême assourdissant les potentialités signifiantes de chaque note, ciselée dans les confins de l'audible, sans que la facture disparate du tissage musical ne renonce à son évidence logique. L'Étude pour les cinq doigts de Debussy referme un spicilège un peu roboratif pour la fin de matinée.

GC