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Chroniques
création de ...auf...II de Mark André
Boulez dirige l’Ensemble Modern Orchestra
L’on connaît l’Ensemble Modern, mais c’est bien la première fois qu’en s’accolant le terme « Orchestra », on lui comptera environ cent vingt musiciens. Encore les fallait-il pour donner ce programme qu’ouvrent les répons des deux pianos de ...auf...II de Mark André, encadrant la vaste formation. Ils dessinent un espace qui ne demande qu’à s’animer, les cordes faisant bientôt une entrée d’abord timide où le compositeur joue avec des périphéries non vibrées, intégrant à sa manière Lachenmann et Pesson tout en accusant des ponctuations sculpturales. Du bruissement général sourd peu à peu un vrombissement ligétien par lequel, loin de s’épuiser dans une collection de procédés attendus, l’auteur affirme une dérive plus personnelle. Pierre Boulez conduit magistralement le suspens de cette création à la verve chuchotée qui ne ressemble à aucune autre. La musique retourne d’où elle venait, un clac de piano, impulsion avortée, sans écho. Ému, Mark André salue le chef, les instrumentistes et le public, puis disparaît derrière un gros bouquet.
Encore et toujours étonnant, Boulez livre les Amériques de Varèse dans une grande précision des alliages timbriques, une gestion incomparable des brouilles organisées, des surgissements ici rendus spontanés, à travers une progression soignée des contrastes. Il dessine l’œuvre dans l’impalpable par une sonorité néanmoins scrupuleusement définie, fureur et mystèrese conjuguant dans un fascinant paradoxe. Précieuse, l’acoustique de la Festspielhaus permet de goûter la complexité des textures, ainsi que l’ambitus du geste général. Le chef maintient son approche à l’extrême bord du rite qu’il ne laisse pas naître. Subtilement il en resserre peu à peu les rênes, soulignant la joyeuse mise en commun des pupitres sur une bacchanale « jambes de bois dans le dos » : il a décidément le génie de ces déchaînements ! Cette interprétation lui vaut rien moins que cinq rappels avant l’entracte.
Commandé et créé par Simon Rattle et la Philharmonie de Berlin, Towards Osiris de Matthias Pintscher convoque un effectif moins expansif. Le geste s’emballe assez vite, dans une plasticité de bon aloi, associé à des halos de jazz symphonique, non dépourvus d’une relative incongruité sous la battue de Boulez. Quoique d’une facture maîtrisée, traversée d’une énergie appréciable qu’agrémente un lyrisme réconcilié avec les Viennois via Wolfgang Rihm, l’œuvre pourrait bien accuser la maladresse de n’être que trop adroite.
Pour ainsi dire « à la maison », Pierre Boulez conclut la soirée par ses Notations, extensions (parfois proliférantes) plutôt qu’orchestrations de cinq des douze pages pianistiques de 1946. La première est livrée dans l’élégance d’un fin tissage, la septième (la plus jeune) suspend la ponctuation qu’elle retarde en laissant grandir le désir qu’on en a, tout en jouissant du son – de ses raffinements, de ses ramifications –, rehaussée des effets de flûte si chers à l’auteur. Les entrelacs paraissent vivre, évoluer sous nos yeux. Plus musclé, le dessin massif de la IV, tout marmoréen qu’il soit, laisse chanter les cuivres, avant que le voyage accompagné de la Notation III dans la texture confronte l’écoute à des sécrétions quasiment minérales. Rapide comme jamais (ce qui témoigne de la fiable réactivité de l’Ensemble Modern Orchestra), la II se révèle frais bondissement, presque juvénile. De fait, remerciant le bel enthousiasme du public, le compositeur la reprend en guise de bis... plus vite encore !
BB