Chroniques

par laurent bergnach

AOI, yesterday’s glory is today’s dream
AOI, la gloire d'hier est rêve d'aujourd'hui

nôpéra de Noriko Baba
Maison de la culture du Japon, Paris
- 23 avril 2016
Noriko Baba : AOI, yesterday’s glory is today’s dream – 2016
© jean couturier

Si la ville la plus connue de l’île d’Honshū est Tokyo, baignée par le Pacifique sur sa côte Ouest, il existe côté Est celle de Niigata, la plus peuplée de la mer du Japon. C’est là que naît la compositrice Noriko Baba, en 1972. D’abord diplômée de l’Université des Beaux-arts de la capitale (1998), elle poursuit ses études musicales à Paris, au CNSM puis à l’IRCAM, ainsi qu’à la Fondation Royaumont. Parmi ses professeurs, on compte Laurent Cuniot, Luis Naón, Yann Geslin (électroacoustique), Paul Mefano (composition), Michaël Levinas (analyse), Marc-André Dalbavie (orchestration), etc.

Aujourd’hui, elle propose l’écoute d’un nôpéra, genre hybride entre nô et musique contemporaine. Apparu à la fin du XIIIe siècle, ce théâtre traditionnel uni pantomimes dansées et chroniques versifiées, récitées par des âmes errantes. Le célèbre Zeami Motokiyo (1363-1443) contribue à en fixer les règles, en acteur et dramaturge prolixe qui lègue à la postérité près d’une centaine de pièces [lire notre critique du DVD Résurrection]. L’une d’elle, Aoi no Ue, a servi à l’écriture du livret, inspirée par un épisode du premier roman psychologique de la littérature, Le Dit du Genji (XIe siècle). En effet, des sentiments intemporels (rivalité, humiliation, jalousie, etc.) charpentent l’histoire de Rokujo, maîtresse vieillissante et délaissée, qui souhaite la mort de la jeune Aoï, nouvelle compagne du prince Genji. Celle-ci souffre pourtant de contempler en Rokujo son avenir.

Librettiste de l’ouvrage, Mié Coquempot le met en scène dans un univers post-punk inspiré du mouvement heta-uma, sorte de manga underground. Bouquet de câbles tombant des cintres derrière un fauteuil défraîchi, téléviseurs grimaçants et canettes abandonnées forment le décor qu’investissent, coiffés de perruques colorées, les six musiciens mobiles de l’ensemble 2e2m (flûte, clarinette, basson, violon, alto, violoncelle). Pierre Roullier les dirige, placé en jardin. Deux percussionnistes sont aussi présents, Cyril Hernandez (Chaman) et Linda Edsjö (Prêtresse) ; ils interagissent plus directement avec Ryoko Aoki qui chante son malheur ou sa rage d’une voix gutturale caractéristique, dans sa langue natale. Vient alors le temps du murmure résigné, en anglais.

Disons-le d’emblée, nous fûmes peu sensibles à l’œuvre de Noriko Baba qui favorise le collage et la citation (adieux de Dido). Cependant, il faut reconnaître un talent sûr pour créer un climat angoissant, voire grinçant dès l’acte initial, à l’aide de peu d’instruments. Tout à son honneur, on sent également une recherche de l’inouï, à entendre résonner le métal (bol, cymbale) sur la peau d’une timbale en ouverture des trois sections, froisser des colliers de perles durant l’exorcisme, claquer le papier-bulles, chanter un coucou ou sonner un réveille-matin.

LB