Chroniques

par irma foletti

Elisabetta, regina d’Inghilterra | Élisabeth, reigne d’Angleterre
dramma per musica de Gioachino Rossini

Rossini in Wildbad / Offene Halle, Marienruhe
- 21 juillet 2021
"Elisabetta, regina d’Inghilterra" au festival allemand Rossini in Wildbad 2021
© patrick pfeiffer

Afin de s’affranchir de quelques-unes des contraintes liées à la situation sanitaire, Rossini in Wildbad a prévu, pour son édition 2021, de jouer en extérieur. La petite ville de Bad Wildbad en Forêt-Noire ne bénéficiant pas de la même pluviométrie que la Provence, les organisateurs ont choisi des lieux abrités en cas d’intempéries. Pas d’orage en vue pour notre première soirée qui se déroule dans un sommaire bâtiment de bois, une sorte de grange appartenant au complexe sportif situé aux abords de la commune. Il s’agit davantage d’un lieu semi-fermé que semi-ouvert, avec du jour entre les lattes dont on imagine la fonction de séchage du foin il y a quelques années. Cette halle tout en longueur ne comporte cependant pas de fosse et l’étroitesse de la construction repousse les chanteurs sur une petite scène assez loin derrière l’orchestre, disposition qui constitue un problème récurrent au cours de la soirée.

L’Ouverture d’Elisabetta, regina d’Inghilterra, opera seria créé au Teatro San Carlo de Naples en octobre 1815, est bien connue puisque le compositeur la réutilisa quelques mois plus tard pour le Barbiere di Siviglia, à Rome cette fois (création le 20 février 1816). Directeur musical du festival où il a déjà dirigé une dizaine de titres rossiniens, le chef Antonino Fogliani [lire nos chroniques de Giovanna d’Arco, Maria Stuarda, Semiramide, Guillaume Tell, L’Italiana in Algeri, Aida et La Cenerentola ossia La bontà in trionfo] imprime des tempi soutenus à l’Orchestre Philharmonique de Cracovie (Orkiestra Symfoniczna Filharmonii im. Karola Szymanowskiego w Karkowie), formation très appliquée, à l’image du cor solo bien sollicité. Comme prévu, l’acoustique est forte, et il faut tendre l’oreille pour entendre le premier numéro du Chœur lié à la phalange, chantant en coulisses. En effet, le metteur en scène Jochen Schönleber [lire nos chroniques de Moïse et Pharaon et de L’equivoco stravagante] fait traverser la scène aux choristes, mais les gardes du corps de la reine les empêchent de stationner. La scénographie est très légère : quelques chaises, deux sièges de bureau pivotants, couleur fuchsia, un pupitre pour de brefs discours d’Elisabetta ou Norfolc, une petite table au deuxième acte, avec les vidéos de Zygfryd Turchan projetées en fond de plateau. En noir et blanc, les images ou animations filmées représentent un groupe de personnes qui attend l’arrivée de la reine ou du héros, qui se révolte pour l’Acte II, une doublure de la souveraine marchant dans un couloir, applaudie comme une star, ou encore Leicester mené en prison, ces deux séquences tournant plusieurs fois.

Le rôle-titre est tenu par Serena Farnocchia, voix puissante qui a le mérite de passer l’orchestre sans problème. Les aigus sont projetés avec une grande force, même si certains sont plus évocateurs d’une Abigaille ou d’une Odabella chez Verdi. La protagoniste se situe moins dans sa zone de confort pour ce qui concerne la souplesse et les passages d’agilité, mais l’autorité dégagée au cours des récitatifs et l’abattage dont elle fait preuve dans les moments de colère emportent l’enthousiasme. Veronica Marini (Matilde), l’autre soprano, relève plus encore de l’école belcantiste. Le timbre affiche une séduction immédiate, la virtuosité s’avère sans failles dans les fioriture, dont certaines variations de bon goût lors des reprises. C’est une chanteuse à suivre, sans aucun doute, sa seule limite paraissant un grave actuellement trop discret. Les rares interventions de la jeune Mara Gaudenzi (Enrico) font entendre un mezzo-soprano d’une couleur et d’une richesse rares – dommage que Rossini ne lui ait pas écrit d’air séparé, mais on espère avoir l’occasion de la réécouter prochainement.

Côté masculin, on sait que le défi est de taille pour succéder aux deux ténors de la création, Andrea Nozzari (Leicester) et Manuel García (Norfolc). Pour ces deux rôles, le festival peut compter sur deux de ses fidèles, à commencer par Mert Süngü distribué en Norfolc [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, Le nozze di Teti e di Peleo, Zelmira, Lucrezia Borgia et Ecuba]. Le soliste turc fait preuve de caractère dans ce personnage de méchant, culminant dans le grand air Deh! Troncate i ceppi suoi qui affirme un brio certain dans un volume appréciable. Le Français d’origine congolaise Patrick Kabongo impressionne encore davantage en Leicester [lire nos chroniques d’Armide, L’inganno felice, Romilda e Costanza et Le Balcon]. L’instrument semble avoir gagné en puissance ces dernières années, l’aigu se déployant dorénavant avec une plus grande fermeté, tandis que le grave est très correctement exprimé. La virtuosité est aussi bien huilée, produisant des vocalises détachées. Le jeu d’acteur est de qualité, comme quand il est fait prisonnier, attaché à une chaise, T-shirt en sang, et que le spectateur peut craindre le pire en voyant le film d’une exécution en arrière-plan. Le plateau vocal est complété par le fort secondaire Guglielmo, tenu par Luis Aguilar.

Il faut également saluer la performance des artistes du Chór Filharmonii im. Karola Szymanowskiego w Krakowie qui parviennent sans encombres à gérer leurs difficiles déplacements et mises en place dans ce lieu exigu, et reconnaître enfin, au delà des performances individuelles, la belle cohérence d’ensemble de la distribution.

IF