Chroniques

par irma foletti

Ecuba | Hécube
tragedia lirica de Nicola Antonio Manfroce

Festival della Valle d’Itria / Palazzo Ducale, Martina Franca
- 4 août 2019
Naples, 1812 : "Ecuba" de Manfroce ; Martina Franca, 2019 : nouvelle production
© clarissa lapolla

L’événement attendu de la quarante-cinquième édition du Festival della Valle d’Itria était la résurrection d’Ecuba de Nicola Antonio Manfroce, compositeur né en 1791 et disparu prématurément à l’âge de vingt-deux ans. Écrit sur un livret de Giovanni Schmidt, créé avec succès au Teatro San Carlo de Naples en 1812, l’opéra met en scène la vengeance d’Hécube ordonnant à sa fille Polyxène de tuer Achille, l’assassin d’Hector, son premier fils. La pièce en trois actes est ici donnée sans pause, elle dure environ une heure et quarante-cinq minutes.

Le dispositif scénique de Pier Luigi Pizzi inscrit l’action dans le même grand volume que celui des deux soirées précédentes, comprenant des éléments de décors d’un blanc immaculé, un autel central et des gradins de chaque côté. Pendant l’Ouverture, la dépouille d’Hector, aux allures de Christ descendu de la croix, est portée par quatre hommes puis déposée sur l’autel, tandis qu’Hécube entre en scène de l’autre côté pour serrer contre son corps la tête de son fils défunt, en le pleurant. La mise en scène est hiératique et dépouillée, en blanc sur fond noir, et violet pour les costumes des protagonistes, composant un plateau qui ressemble à un tableau vivant.

La musique peut évoquer celle d’un Rossini, mais sans contour dramatique particulier, d’une orchestration et de mélodies pouvant illustrer aussi bien le répertoire buffo que serio. À la tête de l’Orchestra del Teatro Petruzzelli di Bari, Sesto Quatrini est mesuré dans la gestion du volume, mais dès la première scène, la fosse devient plus solennelle, avec de grandes respirations. La partition s’avère par la suite inégale, enchaînant de longs récitatifs aux reliefs plus ou moins marqués, ainsi que quelques grands airs bien écrits, tour à tour élégiaques, virtuoses, brillants parfois, comme le finaldu deuxième acte. Le chef, qui remplace pour les deux représentations Fabio Luisi initialement programmé, ne démérite pas mais on peut imaginer que l’œuvre aurait pris davantage d’ampleur avec Luisi au pupitre, la musique ne prenant pas toute sa place ce soir.

Le compositeur a écrit quatre parties vocales à peu près d’égale importance. Lors de cette seconde soirée, le rôle-titre est défendu par Carmela Remigio qui avait dû renoncer à sa participation à la première pour des raisons de santé. Le soprano met du mordant dans les récitatifs, aux accents de vraie tragédienne, puis de la douceur dans les cantilènes mais encore de la fureur dans ses quelques passages plus agités. Son air du deuxième acte, Figlio mio, vendetta avrai, introduit puis accompagné par la harpe, est d’une grande musicalité. Elle met un engagement personnel et soutenu tout au long de la représentation. Après le dénouement sanglant de l’intrigue, c’est encore Ecuba qui a le mot de la fin, à nouveau pleine de fureur dans ses imprécations. Son rire conclusif tire vers la folie – une performance d’un grand impact vocal et visuel qui déclenche les brava du public. Dans le rôle de sa fille Polissena, le soprano Roberta Mantegna dispose de moyens opulents, une puissance au service de la musique. Le timbre est devenu cependant plus agressif ces dernières années, montrant quelques tensions dans l’extrême aigu, la couleur est moins séduisante sauf dans les passages en mezza voce. Son entrée Oppresse dal dolore évoque davantage Cherubini ou Spontini que Rossini. Très peu développé, le troisième rôle féminin est Teona, chanté par Martina Gresia, voix discrète, voire curieusement quasi-éteinte en fin de spectacle.

Les deux rôles masculins, écrits pour ténors, exigent à la fois virtuosité et large étendue vocale. Mert Süngü en Priamo, mari d’Ecuba, affronte avec vaillance son premier air, Pari a te, qui présente une structure classique belcantiste de cavatine, suivie d’une cabalette. Les graves sont correctement exprimés, il fait preuve d’une certaine souplesse, bien que la voix bouge un peu et que le volume est malheureusement réduit pour ce vaste espace extérieur. L’autre ténor, Norman Reinhardt, montre en Achille ses capacités de chant orné et de gestion des grands écarts dans sa cantilène d’entrée, I miei voti appaga, suivie de la difficile cabalette Là nel bollor dell’armi. La puissance est également mesurée, mais la couleur vocale de ce chanteur d’école américaine peut évoquer celle de Gregory Kunde, son glorieux aîné, en ce qui concerne la période belcantiste de ce dernier, il y a une vingtaine d’années. Dirigé par Corrado Casati, le Coro del Teatro Municipale di Piacenza, hommes à gauche en noir et femmes à droite en robe violette et voile noir, se montrent bien chantants, homogènes et disciplinés du point de vue du rythme.

IF