Chroniques

par laurent bergnach

Le Balcon
opéra de Péter Eötvös

youtube.com / Athénée Louis-Jouvet, Paris
- 8 mai 2020
Maxime Pascal joue Le Balcon (2002), un opéra signé Péter Eötvös
© meng phu | le balcon

Le Balcon, pièce en neuf tableaux de Jean Genet (1910-1986), est d’abord donnée à Londres en avril 1957, avant de gagner Paris en mai 1960 – Peter Zadek et Peter Brook en signent respectivement la mise en scène. Peu avant la création française, l’auteur des Nègres – autre pièce, autre opéra [lire notre critique du CD] – écrit à son agent, Bernard Frechtman : « pour corriger un peu Le Balcon, je l’ai donc relu : c’est très mauvais, et très mal écrit. Prétentieux. Mais comment faire ? Si je m’efforçais à avoir un style plus neutre, moins tordu, il conduirait mon imagination vers des mythes ou des thèmes bien trop sages, bien trop conventionnels. Car inventer n’est pas raconter. Pour inventer, il faut que je me mette dans un état qui suscite des fables, ces fables elles-mêmes m’imposent un style caricatural. C’est lié. »

Lieu métaphorique du pouvoir, Le Balcon est un bordel de luxe, une maison d’illusion où des clients viennent se déguiser (Évêque, Juge, Général) et rencontrer des filles elles-mêmes travesties pour répondre à leurs fantasmes (pêcheresse, voleuse, cheval). Madame Irma gère l’établissement sans faillir, avec Arthur, son amant et serviteur qui, déguisé en bourreau, assiste certains clients. Mais ce qui se passe dehors l’inquiète : la révolte gronde, menée par Chantal et Roger. Pour Georges, le chef de la police, elle est l’occasion de devenir enfin un héros, c’est-à-dire d’être dignement représenté dans un salon du bordel comme figure d’une autorité absolue et terrifiante.

À l’opposé de Françoise Morvan, qui participa au livret avec une vision trop statique et dramatique de la pièce originale, Péter Eötvös confie : « au cours de mes lectures, je n’ai cessé d’entendre une musique de cabaret. Lorsqu’elle le lisait, ce texte me paraissait contenir une grande part de sourire et d’humour. C’est cette forte impression qui m’a donné la sonorité de cet opéra. […] Genet est assez sarcastique en ce qui concerne le rôle de la révolte. La musique qui représente la révolution recourt à un certain rythme correspondant à une entrée de cirque, à la marche des clowns et des éléphants » (in Aurore Rivals, Entretiens autour des cinq premiers entretiens de Peter Eötvös, Aedam Musicae, 2012) [lire notre critique de l’ouvrage].

Le 5 juillet 2002, Péter Eötvös (né en 1944) présente au Festival d’Aix-en-Provence son nouvel opéra. Quelques années plus tard, une formation instrumentale éponyme en propose sa vision, à l’Athénée Louis-Jouvet, le 20 mai 2014. Nous découvrons cette production à l’occasion du confinement sanitaire, dans une mise en scène lisible de Damien Bigourdan. Le décor importe moins que les costumes de Pascale Lavandier, laquelle souligne l’aspect dérisoire des mascarades par des tenues clinquantes ouvertes dans le dos, façon chemise d’hôpital.

Une douzaine de chanteurs investissent la scène, sonorisés par Florent Derex, comme nombre de spectacles du Balcon. Pour leur vaillance et leur justesse, notre préférence va à Shigeko Hata (Carmen), Patrick Kabongo (Juge) et Vincent Vantyghem (Général), mais sans que déméritent Jean-Claude Sarragosse (Chef de la police), Virgile Ancely (Arthur) et Guillaume Andrieux (Roger). Si le contralto Hilary Summers avait créé le rôle de Madame Irma, sa reprise par le contre-ténor Rodrigo Ferreira ne gâche rien, notre média ayant souvent souligné son talent dans des opus récents ou rares [lire nos chroniques de Claude, Re Orso, Antti Puuhaara et Elena]. En fosse, Maxime Pascal se montre tonique, à défaut d’être toujours nuancé.

LB