Chroniques

par bruno serrou

Ariane et Barbe-Bleue
opéra de Paul Dukas (version de concert)

Orchestre Philharmonique de Radio France, Jean Deroyer
Salle Pleyel, Paris
- 15 avril 2011
Jean Deroyer dirige Ariane et Barbe-Bleue de Dukas à la Salle Pleyel (Paris)
© jean radel

Au cœur d’une extraordinaire trilogie lyrique proposée par deux salles de concert parisiennes ce dernier week-end, dans une exécution moins remarquable néanmoins que le Parsifal qui ouvrit les festivités jeudi au Théâtre des Champs-Élysées [lire notre chronique du 14 avril 2011], l'opéra en trois actes Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas donné vendredi soir par l’Orchestre Philharmonique de Radio France a imposé la direction précise, ferme, attentive et lyrique du jeune chef français Jean Deroyer [photo], actuel directeur de l’ensemble Court-circuit notamment remarqué lors de créations d’opéra comme L’amour coupable de Thierry Pécou [lire notre chronique du 27 avril 2010] ou Les Boulingrin de Georges Aperghis [lire notre chronique du 12 mai 2010].

Publié en 1899, lebeau conte allégorique sur la servitude volontaire de Maurice Maeterlinck, qui reprend ici son personnage de Mélisande, prétexte pour compositeur à citer l’opéra Pelléas et Mélisande de Debussy, d'après Charles Perrault qui chante les avantages et inconvénients de la liberté conquise et offerte par une femme à d’autres de ses semblables, a inspiré à Dukas une musique fluide et puissante, raffinée et richement orchestrée, dotée d’une partie vocale merveilleusement chantante, loin du mélisme debussyste. Debussy avait presque achevé Pelléas lorsque Dukas commença la composition d’Ariane, qui ne doit rien à l’opéra de l’aîné, à l’exception de la citation ci-dessus mentionnée. Les noms des cinq premières femmes de Barbe-Bleue de l’ouvrage composé entre 1901 et 1906 et créé à l’Opéra Comique le 10 mai 1907 proviennent de pièces antérieures de Maeterlinck, Pelléas et Mélisande (1893) pour Mélisande, Alladine et Palomides (1894) pour Alladine, La mort de Tintagiles (1894) pour Ygraine et Bellangère et Aglavaine et Sélysette (1896) pour Sélysette.

Sans être exceptionnelle, la distribution réunie par Radio France s’est avérée homogène, avec, parmi les six rôles féminins, les excellentes Andrea Hill, Sélysette de haute stature, Karen Harney, délicieuse Ygraine, et Delphine Haidan à la diction parfaite et à son aise dans le rôle de la Nourrice, ainsi que la gracieuse Mélisande d'Emmanuelle de Negri et la Bellangère de Claudine Margely. Dans les deux phrases dévolues à son personnage, Nicolas Cavallier a campé un Barbe-Bleue impérieux. Endurante mais un rien monochrome, Katarina Karnéus n’a pas toujours convaincu et son articulation peu claire n'a pas servi le texte. Il faut néanmoins reconnaître qu’elle a servi au mieux cette partition exigeante qui sollicite quasi constamment sa voix alors qu’elle avait eu peu de temps pour répéter avec l’orchestre.

À l'instar de l'orchestre, roi dans cette partition qui se présente comme un poème symphonique avec voix obligées, le Chœur de Radio France a brillé, notamment avec ses cinq chanteurs sortis du rang pour incarner autant de rôles solistes (Claudine Margely, Karen Harney, Mark Pancek, Matthieu Cabanes et Philippe Eyquem). Après trop de productions scéniques (Théâtre du Châtelet, Opéras nationaux de Lyon puis de Paris) desservant notablement ce bel ouvrage inexplicablement fort peu enregistré, le concert s’avère être le meilleur médium pour prendre toute la mesure de cet authentique chef-d’œuvre.

BS