Chroniques

par françois cavaillès

Les contes d’Hoffmann
opéra-comique de Jacques Offenbach

Opéra de Saint-Étienne
- 12 novembre 2017
Nicola Berloffa met en scène Les contes d’Hoffmann (Offenbach) à Saint-Étienne
© cyrille cauvet

« Allons ! courage et confiance… » *
Le credo convient si bien au chantre du romantisme Ernst Theodor Wilhem Hoffmann (1776-1822), héros et artiste modèle d'Offenbach pour Les Contes d'Hoffmann (1881), son tout dernier chef-d’œuvre. Paroles de ténor (à l'Acte II), l'amour au besoin se trouve bien dans cette femme... ou dans deux autres, mais toujours en fait une, à triple facettes. En effet, dans le livret, adapté d'une pièce homonyme de 1851 et conçu dans la logique d'un pot-pourri des grands boulevards, la bien-aimée décline trois identités, chacune provenant d'une œuvre différente du poète allemand. Sur scène, ces rôles requièrent trois tessitures distinctes (soprani léger, lyrique puis dramatique), mais le compositeur a souhaité les confier à une seule et même chanteuse. Aujourd'hui rares sont les interprètes capables de relever le défi. Aussi saluons-nous la nouvelle réussite de la jeune Fabienne Conrad dans l'art d'incarner ces gigognes fabuleuses à l'Opéra de Saint-Étienne.

Une poupée mécanique, d'abord, a tout son charme, à l'aise et appliquée dans les ornements d'une véritable petite scène de la folie (au II). Dans son remarquable jeu d'automate s'exprime bien le fantastique du XIXe siècle et, sous la fraîche couche de maquillage, l'habile chanteuse va traverser, toujours avec brio quoique diminuée par d'occasionnelles quintes de toux, l'intrigue longuette du fameux opéra chimérique de bric et de broc, ici donné enfin en version complète. En Olympia, natte blonde et costume rayé font penser à l'extraordinaire performance de Sally Ann Howes au cinéma, Doll on a music box (Ken Hughes, Chitty Chitty Bang Bang, 1968) – Fabienne Conrad suivra d'ailleurs les traces de l'actrice britannique, en réattaquant prochainement My Fair Lady. À la lumière de sa prouesse stéphanoise, elle paraît à son meilleur en Antonia (III), registre plus sombre et étoffé, proche du sublime entre oscillation et épanchement [lire notre article du 27 mai 2017].

À son nouveau bras de courtisane vénitienne (Giulietta, quatrième acte), le ténor romantique Florian Laconi (Hoffmann) réserve une grande scène d'amoureux en souffrance [lire nos chroniques du 5 décembre 2004, du 15 mai 2007, du 10 avril 2015 et du 9 juin 2017]. D'un tableau glacé à l'autre, le couple impossible se heurte à un être maléfique nommé Lindorf, Dapertutto, Coppélius ou Dr. Miracle, campé par l'excellent baryton-basse Laurent Alvaro, tantôt chaleureux tantôt méphistophélique [lire nos chroniques du 7 octobre 2004, du 5 mai 2010, du 25 octobre 2012, des 27 mars et 12 octobre 2013, du 3 août 2016, enfin des 18 mars et 9 juin 2017]. En tant que Muse surtout, le mezzo Lucie Roche apporte une touche féérique ainsi qu'un timbre et un sens de la mélodie très agréables. La basse Luc Bertin-Hugault est d'un réalisme émouvant en Crespel [lire nos chroniques du 22 juin 2010 et du 9 avril 2011], père courageux face à l'ignoble, tandis que le ténor de caractère Carl Ghazarossian brille particulièrement dans l'air, déluré à souhait, du brave domestique Franz [lire nos chroniques des 14 et 23 mars 2004, du 25 juin 2012 puis des 15 novembre et 26 décembre 2013]. Le chœur maison génère aussi une chaleur humaine bienvenue, tour à tour chahuteur au I, puis sémillant pour l'évidente barcarolle du IV, enfin onctueux dans l'épilogue tragique.

Évocateur, soucieux d'harmonie et de caractère – tout particulièrement dans les préludes –, l'Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire dirigé par David Reiland tire le meilleur, avec clarté et pertinence, de la musicalité des Contes dominés par les récitatifs [sur ce chef, lire nos chroniques du 10 février 2014, du 12 mars 2016 et du 3 octobre 2017]. Les musiciens participent beaucoup au succès des ensembles, par la justesse du rythme comique comme par la force décuplée des émotions théâtrales.

Originaire de Plaisance (Teatro Municipale di Piacenza), la coproduction franco-italienne veille au soin des décors, notamment celui de la taverne aux grands miroirs et à la tapisserie imposante. La facture classique du conte est aussi le fait des costumes. Cela dit, la mise en scène du jeune Nicola Berloffa [lire nos chroniques du 3 octobre 2008, du 4 février 2014 et du 12 août 2017] regorge de trouvailles originales dans les lumières, les reflets déformés, les apparitions enfumées ou descendues du ciel – pour anecdote, par quel mystère de la direction des chanteurs ceux-ci semblèrent-ils jouer à chat perché tout l'après-midi ?... Si intention personnelle il y a, elle paraît rafraîchissante et rassurante dans son imperfection, en contraste avec les affres parfois pénibles d'Hoffmann, esprit théoriquement uniforme et malade d'amour-propre.

FC

* « Allons ! courage et confiance,
je deviens un puits de science.
Il faut tourner selon le vent.
Pour mériter celle que j'aime,
je saurai trouver en moi-même
l'étoffe d'un savant.
Elle est là ! si j'osais... »