Chroniques

par gilles charlassier

Орлеанская дева | La pucelle d’Orléans
opéra de Piotr Tchaïkovski

Theater an der Wien, Vienne
- 27 mars 2019
une rareté à Vienne : "La pucelle d’Orléans", opéra de Tchaïkovski
© werner kmetitsch

Si Lyon, dans le cadre de son festival, fit découvrir au public français un opus méconnu de Tchaïkovski, L’enchanteresse [lire notre chronique du 15 mars 2019], le Theater an der Wien, dans la capitale autrichien, l’avait déjà mis à l’affiche il y a quelques saisons. À quelques pas de la plus conservatrice Staatsoper, qui a des obligations de répertoire que ne connaît pas sa voisine, le théâtre construit sous l’impulsion de Schikaneder est désormais le creuset de redécouvertes et de raretés [lire nos chroniques d’Hamlet, Peer Gynt et Der Besuch der alten Dame], à côté d’un relatif tropisme baroque induit par les dimensions du lieu. Sans être absolument inédit en Europe occidentale, le drame historique que Tchaïkovski imagina autour de la figure de Jeanne d’Arc, La pucelle d’Orléans, n’envahit guère les programmations. Il offre, par ailleurs, une intéressante mise en perspective de l’initiative lyonnaise.

Réalisant lui-même le livret à partir d’une pièce de Schiller, le compositeur met l’accent sur les sentiments de l’héroïne, en particulier ceux qu’elle éprouve pour l’ennemi Lionel de Bourgogne, qu’elle fera changer de camp, que le spectacle de Lotte de Beer ne manque pas de rehausser, avec deux doubles acrobates pour les amants [lire nos chroniques de Mosè in Egitto et d’Il trittico]. La rupture de son pacte de virginité constitue le pivot de la chute de Jeanne où la culpabilisation féminine aux confins de la folie, invariant dramaturgique récurrent depuis les débuts du bel canto romantique, vient redoubler l’accusation populaire. La présente production ne souligne pas, de prime abord, le contexte. C’est d’ailleurs dans un loft que Clement & Sanôu ont inscrit la première scène : une jeune lycéenne un peu taciturne, éprise d’idéal, surprend son père en galante occupation sur la table de la cuisine. La tension familiale se trouve résumée dans cette trivialité contemporaine. La politique et ses armures ne vont cependant pas faire défaut pour la suite, symbolisées par les costumes plutôt que par des décors d’apparat. Par les lumières d’Alessandro Carletti, le saisissant finale sera baigné de rouge, couleur associée à la raison d’État depuis l’hermine du Roi. Les mouvements chorégraphiques conçus par Ran Arthur Braun complètent les mouvements de foule.

Dans le rôle-titre, Lena Belkina affirme une présence évidente et tourmentée, mêlant vaillance et complexité psychologique [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Il barbiere di Siviglia et La donna del lago]. Membre du Jungen Ensembles des Theater an der Wien, Kristján Jóhannesson campe un Lionel de belle allure, déployant les ressources d’un baryton vigoureux, au métal solide et empreint de sentiment. Willard White impose son aura en Thibaut d’Arc, le père, minorant les quelques stigmates d’une maturité pas entièrement hors de propos pour le personnage. L’éclat de Dmitry Golovin en Charles VII n’élude pas la vulnérabilité du souverain, aux côtés des atours d’Agnès Sorel, dévolue à Simona Mihai, quand Raymond Very assume les interventions de Raimond, l’époux promis à Jeanne [lire nos chroniques de Der Schatzgräber, Il prigioniero, Billy Budd et Der fliegende Holländer]. Martin Winkler fait retentir l’autorité de l’Archevêque de Reims. Daniel Schmutzhard ne caricature pas les velléités de trahison de Dunois [lire nos chroniques de Tannhäuser, Die Zauberflöte, Die Schöpfung, Die Meistersinger von Nürnberg, Capriccio et Die tote Stadt]. Mentionnons encore les apparitions d’Igor Bakan (Bertrand), Florian Köfler (Loré) et Ivan Zinoviev (un soldat). Préparés par Erwin Ortner, les effectifs de l’Arnold Schoenberg Chor font la démonstration de leur métier reconnu.

À la tête des Wiener Sinfoniker, Oksana Lyniv restitue les couleurs dramatiques d’une partition [lire notre critique du DVD] où l’on reconnaît plus d’une parenté avec Eugène Onéguine. Sans doute moins aventureuse que L’enchanteresse, elle affiche une homogénéité plus évidente et des ensembles de belle facture que la baguette ukrainienne s’attache à mettre en valeur.

GC