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Chroniques
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
opéra de Richard Wagner
Lorsque la Deutsche Oper am Rhein présente à Düsseldorf cette production, Adolf Dresen (1935-2001), son auteur, fait autorité en tant que metteur en scène dont crût la renommée au cours des années quatre-vingt. Sa version de Der fliegende Holländer s’inscrit dans une esthétique marquée par son temps. Elle devait être l’un de ses derniers travaux. Depuis, l’institution rhénane la remet régulièrement à l’affiche où de nombreuses distributions se sont succédé, comme c’est l’usage [sur la photo, il s’agit d’ailleurs d’Almas Svilpa et non d’Anooshah Golesorkhi, entendu ce soir]. À la fin du siècle dernier, il ne choquait personne de jouer une Ouverture rideau baissé, sans occuper cet espace, par définition dédié à la seule écoute, par quelque saynète plus ou moins bien conçue – aujourd’hui, la tendance s’est inversée : il est devenu systématique d’occuper l’ouverture. Ce n’est cependant pas devant la neutralité du rideau que retentit le premier numéro musical de ce soir, mais sous une toile peinte assez impressionnante qui montre une caravelle brisant de tempétueuses vagues, face à une falaise menaçante. Sous une lune éblouissante, tout juste un mouvement de lumière vient-il accentuer le mouvement du dessin, ravivant bientôt le pont d’un rouge terrible. Cette suggestion stimule l’imagination sans prétendre la dominer, laissant la musique faire le principal.
Le plateau se révèle après les derniers accords, le recours à la toile se répétant plus tard pour ponctuer les actes (l’ouvrage est enchaîné sans entracte dans la version originale de 1841). La scénographie de Wolf Münzer fait apparaître un navire concentré en cour. C’est celui de Daland qui se trouvera confronté à un second bâtiment, se déployant soudain des flots, avec ses mâts en haillons, son abord sanglant – fantôme, pour le coup. À la bonhommie roublarde d’un Daland contemporain de Richard Wagner, comme son équipage et, à l’acte suivant, sa maisonnée, répond un personnage du XVIe siècle, Hollandais dont les grimaces n’ont guère l’effet escompté. Le chapitre médian montre un atelier de rouets si développé dans ses proportions qu’il confère déjà à l’industrie plus qu’à l’artisanat. Sur l’un des murs l’on remarque le dessin d’un vaisseau, sur ces panneaux souples qu’on voyait autrefois dans les salles de classe. C’est devant cet accessoire que Senta, exaltée, donne la ballade, révélant au fur et à mesure des passages narratifs d’autres illustrations littérales. En bon chasseur, Erik fait son entrée avec brandissant deux lapins abattus. Hors-champ, le père et l’étranger surviennent par une loge d’avant-scène. La complicité marquée du Hollandais avec l’intrigant Daland le sépare irrémédiablement de l’être de légende qu’attend Senta ; c’est bien plutôt une sorte de maquignon embourgeoisé qu’elle voit comme un sauvage maudit. La scène de la fête, au troisième acte, suspendue dans la peur du vaisseau fantôme, fonctionne mieux, malgré des détails techniques curieusement négligés par cette reprise (toile mal ajustée dont on aperçoit la rampe-lumière, entre autres). Le dénouement s’effectue toutefois dans un mouvement scénique des plus confus.
Musicalement, la soirée se place sous de meilleures protections. Anooshah Golesorkhi possède assurément une stature et une voix, mais le charisme du Hollandais lui fait défaut. L’instrument est bien conduit, sans suffisamment nuancer le chant. Enfin, comme souligné ci-avant, l’incarnation tend presque à la caricature, avec roulements d’yeux dans la lumière. À l’inverse, la Senta de Morenike Fadayomi convoque, grâce à des moyens aisés, une expressivité idéale qui génère l’émotion – outre la ballade, la fervente prière après le duo est d’une pureté précieuse. On retrouve l’autorité tranquille d’Hans-Peter König en Daland généreusement projeté [lire nos chroniques du 13 décembre 2015, du 21 avril 2014, des 14 juillet et 3 juin 2013, ainsi que du 28 juillet 2010]. L’évidence d’émission du vaillant ténor Raymond Very excelle en Erik [lire nos chroniques de Der Schatzgräber, Il prigioniero, Billy Budd et Der Besuch der alten Dame]. D’un mezzo sûr Katharina von Bülow assume une Mary honorable, quand Cornel Frey – applaudi en Mime, ici-même, ce printemps [lire notre chronique du 29 avril 2018] – livre un Timonier vif-argent.
Une fois n’est pas coutume, le chef du Chor der Deutschen Oper am Rhein est descendu en fosse pour également diriger les Duisburger Philharmoniker. Christoph Kurig est sans conteste un musicien apprécié des artistes en présence. Il mène une lecture fidèle.
BB