Recherche
Chroniques
Piotr Illich Tchaïkovski
Орлеанская дева | La Pucelle d’Orléans
Filmée il y a une douzaine d'années, cette production moscovite du Théâtre Bolchoï permettra d'aborder une absolue rareté, en dehors de Russie : à savoir La Pucelle d'Orléans, opéra composé par Tchaïkovski sur un livret de sa propre main, adapté du drame de Schiller. Si l'on entend parfois l'ouvrage en version de concert et, bien sûr, sur disque, on ne peut pas prétendre le connaître sans une réalisation scénique ; c'est une loi valable pour toute œuvre conçue pour le théâtre, partant que même une production moyenne rendra toujours mieux compte qu'une approche désincarnée, exclusivement sonore ou livresque.
Pourquoi ce lieu commun en guise de préambule ? Parce qu'effectivement, la mise en scène que nous montre ce DVD surenchérit de grandiloquence sur un matériau à la base déjà copieusement pompier. On ne s'appesantira donc pas – le produit est bien assez lourd par lui-même ! – sur les images d'Épinal des levers de rideau de chaque acte, autant d'enluminures surplombant des textes en français, sur une géométrie de plateau tristement symétrique, les vierges bleutés, le dispositif d'escalier, la structure gothique fantasmée, bref : tout un arsenal décoratif iconoclaste qu'il vaut mieux oublier. Il fallait s'en douter, Tchaïkovski se concentre sur l'histoire d'un amour impossible : Jeanne se trouve détournée de sa mission sacrée par un attachement terrestre au beau Lionel ; elle en oublie le Roi de France, s'attirant la colère de la Vierge Marie et les foudres des anges des ténèbres que sont ici les Anglais. En clair : ce n'est vraiment pas ce que le musicien aura fait de mieux.
Le principal intérêt du film reste de nous aider à faire le constat qui précède, tout en servant l'œuvre par une distribution plutôt satisfaisante, dans l'ensemble. Si les seconds rôles (Thibault, Bertrand, Raymond, le Soldat, l'Ange, etc.) sont honorablement tenus, le sextuor de tête sert magnifiquement la partition. On regrettera un Charles VII instable, parfois poussif, bien qu'avec un aigu lumineux ; Oleg Kulko ne s'en sort guère, secondé par une Agnès somptueusement chantée – Maria Gavrilova, techniquement irréprochable – mais au jeu totalement insipide, vaguement chorégraphié, sans plus. Au remarquable Archevêque de Gleb Nikolski, accusant plus un maintien de chef d'armée que d'autorité religieuse – mais pourquoi pas, dans le contexte de la Guerre de Cent Ans ?... –, répond le Dunois fort expressif de Mikhaïl Krutikov : la voix est saine, la présence convaincante, le timbre corsé, avec un aigu avantageusement cuivré. Enfin, les amoureux ne sont pas en reste : Vladimir Redkine est un Lionel attachant au grave parfaitement assumé, au timbre noble dont l'aigu est mené avec évidence, et qui sait se montrer vaillant lorsqu'il le faut, mais aussi délicatement nuancé, comme dans le début du duo du Quatrième acte, montant un haut-médium raffiné, tout en douceur, soit une remarquable prise de risques ; à ces qualités s'ajoutent une aisance du jeu et une belle présence qui en font l'incarnation la plus aboutie du spectacle. Quant à la Jeanne d'Arc de Nina Rautio, on en saluera l'égalité de l'impact vocal sur l'ensemble de la tessiture, la chaleur du timbre, la facilité de l'aigu, la couleur du grave, la qualité constante de l'émission, et le bel art de la nuance, tout en regrettant la froideur d'une présence qui s'occupe avant tout de soigner un bel canto indéniablement superbe et ne s'engage jamais dans le rôle.
Ce casting secondé par un Chœur fiable, bien qu'accusant quelques soprani à l'aigu parfois heurté, trouve en l'Orchestre Symphonique du Théâtre Bolchoï un support exemplaire dont l'auditeur goûtera le muscle impressionnant des cordes graves, les bois d'une élégance absolue, les cors efficaces comme un seul homme, dans une lecture équilibrée qu'Alexandre Lazarev conduit avec un ferme sens du drame, mue par une tonicité qui sait ne jamais exclure la chatoyante écriture qui fait la signature de Tchaïkovski.
BB