Chroniques

par marc develey

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 14 mars 2014
Die Zauberflöte de Mozart vue par Robert Carsen à l'Opéra Bastille (Paris)
© agathe poupeney | opéra national de paris

Foisonnant de façon plus ou moins cohérente entre farce, morale populaire, clins d’œil misogynes et idéaux relevés des loges maçonniques de son temps, le livret d’Emanuel Schikaneder appelle assurément des lectures multiples, et la partition mozartienne s’y prête encore, qui donne au Singspiel une palette dramatique et émotionnelle qu’on connaît plus aux tragi-comédies fantasques de Shakespeare que Goethe avait contribuées à remettre à la mode qu’au théâtre de Da Ponte ou Marivaux.

Pour autant, nous peinons à comprendre ce qu’en a voulu faire Robert Carsen. Tout se passe en une forêt riante – on est bien loin de Dante, fût-elle parsemée de tombes. Y vit un peuple de femmes et d’hommes comme en grand deuil voilés de noir. Tamino s’extirpe du sol poursuivi, devine-t-on, par le serpent liminaire dont se défont les trois Dames. Qu’allait-il faire en pays chthoniens ? On le saura d’autant moins que les épreuves du temple l’y re-précipiteront, sans qu’on comprenne bien l’étagement symbolique de ces niveaux. Une grammaire subtile au point de se rendre évanescente fait illustratif le reste de la mise en scène, marcato (listigen Schlange, vraiment ?). Quelques cercueils abandonnés, une apparition de Papagena en mariée morte, les drei Knaben jouant angéliquement au football, font un écho lointain de poésie à une succession de tableaux dont le fil conducteur semble avoir été plaqué sur l’œuvre plutôt qu’il n’en jaillit.

La proposition scénographique passe plus de temps à essayer de gommer les aspects les plus inhumains et misogynes du livret qu’à s’y inscrire pleinement. Sans doute n’avons-nous pas su voir ce que promettaient les quatre saisons de l’Acte II – élégant dispositif de Martin Eidenberger, dont on oubliera les malheureuses incrustations d’oiseaux, ni assez vraisemblables, ni suffisamment mystérieuses – ou la rédemption finale et parfaitement inexplicable de Monostatos. Seule la vivacité du conte, pourtant augurée par la relative perméabilité de la scène, de l’avant-scène et de la salle, aurait pu rendre acceptable la déclinaison d’amour et mort en une aussi lâche et « néo-post-moderne » articulation.

Si nous regrettons les oiseaux numériques, nous sommes reconnaissant à Philippe Jordan de nous les avoir fait pour la première fois entendre dans l’Ouverture. Le travail de fosse s’y montre aussi subtil que jubilatoire. Les pupitres chantent dans des plans sonores très détourés et sans pédale rhétorique excessive – une référence. Si par la suite, le chef, plus sage, s’attache à suivre de près les solistes en donnant son assise au chant sans imposer l’orchestre, les parties purement orchestrales toujours enchantent.

Le plateau vocal convainc, ravit parfois.
Monostatos (François Piolino), dont la rencontre avec Papageno est quelque peu couverte par l’orchestre, délivre un excellent Alles fühlt der Liebe Freuden. Parfois un brin acides ou raides, les drei Knaben font un contrepoint léger aux pitreries liminaires des drei Damen. Le ténor au robuste tremolo de Pavol Breslik campe un Tamino parfois maniéré, finalement en son genre aussi naïf que l’est Papageno en le sien. Interprété par un drolatique et généreux Daniel Schmutzhard, excellent acteur – récemment remarqué en Wolfram de Tannhäuser [lire notre chronique du 9 novembre 2007] –, l’oiseleur possède un rayonnement résolument estival bien plus que grotesque et nous fait la joie de duos avec Papagena (fraiche et rieuse Regula Mühlemann) et Pamina (Julia Kleiter). L’Ach ich fühl’s un peu distancié de cette dernière n’est pas sans la grâce d’une prise de conscience progressive. La mise en scène ne permet en revanche pas de comprendre sa tentative de suicide ultérieure, ce qui donne au personnage une inconstance que dément le livret. La Reine de la nuit (Sabine Devieilhe) se révèle mère ambiguë et dolente du mensonge qu’elle tisse pour sa fille, et si l’intensité vocale parfois manque d’ampleur – à l’exception de la capiteuse et chaleureuse basse de Franz-Josef Selig (Sarastro), tous sont victimes du volume étrangement anéchoïde de Bastille –, encore l’intention est-elle fort juste, au vu des propos de la mise en scène, et l’incarnation se montre-t-elle pleine de vigueur. Au final, une soirée dont demeurent quelques belles ou jolies vignettes mémorielles et sonores, autant de cartes postales dont on se demande bien quelle histoire les aurait reliées.

MD