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Chroniques
Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski
Belle distribution que celle réunie par le Théâtre des Champs-Élysées pour honorer la partition de Tchaïkovski, conçue en 1878 à partir du roman versifié de Pouchkine. On y retrouve avec grand plaisir de nombreux artistes volontiers applaudis ici et là depuis plusieurs années. Ainsi de Delphine Haidan qui campe d’un timbre enveloppant une Filipievna douce à souhait dont la présence à la fois discrète et prégnante prend bonne place dans la situation dramatique [lire nos chroniques de Madama Butterfly, Iolanta à Tours, Die Zauberflöte et Les Troyens]. Il en va de même de Mireille Delunsch qui ce soir se penche avec conviction sur le rôle de Madame Larina auquel elle prête une musicalité indéniable et une humanité délicate et attachante. Appréciée dans le répertoire russe en nos régions, la jeune Gelena Gaskarova inscrit la partie de Tatiana dans une fraicheur de timbre parfaitement d’à propos, bien que le registre médium de l’instrument n’affiche pas ce bel éclat qui convainc dans l’aigu [lire nos chroniques d’Iolanta à Nancy et à Saint-Pétersbourg, ainsi que de Francesca da Rimini]. Déjà remarqué en Olga à l’Opéra national de Paris il y a quelques années, l’alto suave et généreux d’Alisa Kolosova révèle une puissance exquisément caressante grâce à un phrasé luxueux [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Messa da requiem, Messe D.950 et Médée]. Avec de telles voix, il va sans dire que les ensemble féminins font l’objet d’une réalisation plus que satisfaisante.
Les hommes ne sont pas en reste, comme le démontre aisément Yuri Kissin, efficace Capitaine lors du bal chez les Larina et, surtout, Zaretski d’autorité pour le duel [lire nos chroniques de la Messe Glagolitique, de Salome, Pelléas et Mélisande, Ariane et Barbe-Bleue, Tosca et Ariadne auf Naxos à Toulouse]. Le ténor clair de Marcel Beekman et un goût certain de la comédie font leur effet en Monsieur Triquet bien chantant [lire nos chroniques de Platée et d’Ariadne auf Naxos ici-même]. Basse au grave confortablement assis, Jean Teitgen, dont les hauteurs du registre affirment un cuivre élégant, compose un Grémine qui va de soi [lire nos chroniques d’Aida, Œdipe, Samson et Dalila, Les pêcheurs de perles, Dimitri, Les barbares, Les Troyens, Proserpine, Pelléas et Mélisande, La nonne sanglante, La Gioconda et I due Foscari]. La première fois que nous entendions l’organe lumineux et souple de Jean-François Borras, c’était dans le répertoire russe, puisqu’il s’agissait de la quasi-opérette de Chostakovitch, Moscou Quartier des cerises [lire notre chronique du 24 mars 2006] ; il livre cette fois un Vladimir au grand souffle que caractérise une tendresse ineffable, si évidente qu’elle est encore à l’œuvre lorsque le personnage menace, au moment de l’absurde querelle entre les deux garçons. On ne se lasse pas du chant sensible de ce Lenski-là [lire nos chroniques de Robert le Diable et de Macbet] ! Enfin, à Jean-Sébastien Bou est confié le rôle-titre qu’il assume d’un jeu parfois emporté, plutôt conventionnel, quand la prestation vocale se révèle souvent heurtée – quel dommage, alors que la voix n’a pas pris une ride, et lorsqu’on sait la musicalité ô combien cultivée dont cet artiste abreuve souvent l’écoute. En ce mercredi soir est donnée la première de cette production nouvelle d’Eugène Onéguine : gageons qu’éliminé la tension particulière que génère l’événement, le baryton développera plus simplement ses moyens.
En fosse, les musiciens de l’Orchestre national de France déploient des trésors de lyrismes, sous la battue fort lisible de Karina Canellakis qui s’ingénie à porter haut une lecture résolument passionnée, voire passionnelle. Sans doute l’effort en pourra-t-il sembler louable quand, de notre point de vue, une interprétation ciselée paraît préférable. Tchaïkovski a écrit son œuvre pour des jeunes gens, dans un cadre spécifique ; encore prit-il la peine de l’indiquer tant et si bien qu’elle est peut-être la première du genre opéra à l’être à ce point. L’inscrire dans une veine romantique de type débordant et fougueux induit une surenchère continuelle de la dynamique qui conduit à un dangereux déséquilibre avec le plateau vocal – peut-être a-t-on trouvé là, d’ailleurs, ce qui occasionne la réserve émise quant au rôle-titre. Préparés par Salvatore Caputo, les artistes du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux assument pleinement leur tâche.
Avec la complicité de Marion Hewlett aux lumières, de Thibault Vancraenenbroeck pour les costumes et de Marion Lévy quant à la chorégraphie, Stéphane Braunschweig signe une mise en scène pauvrement illustrative, certes agréablement dessinée et qui laisse voir une direction d’acteurs assez soignée, mais sans inventivité notable. Se gardant bien d’avancer qu’on applaudirait plus chaleureusement quelque transposition à Semeï dans un essoufflement apocalyptique postnucléaire – loin s’en faudrait –, ce travail manque trop obstinément de dimension spirituelle pour qu’un jour l’on s’en souvienne autrement que d’un énième Onéguine. Il n’empêche : l’ouvrage nous est si cher que cette carence ne dérange pas.
BB