Chroniques

par bertrand bolognesi

Samson et Dalila
opéra de Camille Saint-Saëns

Grand Théâtre, Genève
- 21 novembre 2012
Samson et Dalila (Saint-Saëns) à Genève (photo d'Yunus Durukan)
© yunus durukan | gtg

C’est à Patrick Kinmonth que le Grand Théâtre de Genève et la Deutsche Oper de Berlin ont confié cette (co-)production de Samson et Dalila qui transpose l’argument biblique dans le Paris des dissensions insurrectionnelles du printemps 1871. Voilà une option qui se défend et se tient solidement, à dire vrai, quand bien même son évitement d’un orientalisme trop attendu la plonge parfois allègrement dans un empesage fin-de-siècle assez kitsch, pour tout dire. Il n’empêche : l’idée fait sens et le dispositif qu’elle génère se révèle fort ingénieux. Ainsi le public fait-il face à un rail bordé de deux quais rudimentaires. Là vont et viennent des « voitures » de chemin de fer, quand ce ne sont de simples binards à claire-voie tractés par les personnages eux-mêmes, scellant cette mise en scène dans une sorte d’épique simplicité qui relaie judicieusement la partition. Car enfin, les élans guerriers comme les sensualités opulentes de l’opéra de Saint-Saëns – composé à partir de 1868, créé à Weimar en 1877 pour finalement gagner la scène française (Rouen) en 1890 – font évidemment bon ménage avec cet anachronisme astucieux.

En admettre cordialement le principe et sa réalisation – Darko Petrovic signe des costumes et, surtout, un décor d’extrême pertinence, tandis que les lumières de Manfred Voss en dessinent remarquablement la peinture dramatique – n’exclut cependant pas d’en regretter l’habitation parfois trop légèrement conduite qui se laisse plus sûrement définir en termes de scénographie qu’en véritable mise en scène : dommage qu’un écrin de si grande facture n’ait pas bénéficié d’une direction d’acteurs plus ténue qui, n’en doutons pas, aurait su éluder certaines scories souvent malvenues. En revanche, la « négociation » de la bacchanale par Jonathan Lunn en torpille magistralement les poncifs.

Réunir une distribution minutieusement choisie quant aux formats vocaux, aux présences scéniques et aux aptitudes stylistiques pourrait bien être la clé qui garantit une réussite. Aussi convient-il de saluer l’efficacité de Jean Teitgen dans la brève partie d’Abimélech, un artiste dont l’impact se précise de saison en saison toujours plus efficient, ainsi que l’excellent Hébreu de l’Écossais Brian Bannatyne-Scott, basse fort ancrée qui se déploie plus avantageusement que le laisse espérer le rôle. Assurément, voilà un cast idéalement composé qui met d’abord l’accent sur les personnages principaux, comme il se doit – il n’est jamais désagréable de croiser de saines incarnations dans des emplois plus modestes, mais à se souvenir de représentations dont les « panouilles » dépassaient les protagonistes majeurs, l’on ne boudera pas son plaisir à rencontrer ce soir des « titres » d’aussi belle tenue.

La planète lyrique use de mots comme première, prise de rôle, création, etc., tout un vocabulaire dont font plus discrètement partie les dernières : après une carrière exemplaire, commencée tardivement (il fait ses débuts à l’âge de trente-cinq ans), Alain Vernhes chante le Grand Prêtre de Dagon avec la verve inimitable et le style qu’on lui connaît, un Grand Prêtre avec lequel il fait ici ses adieux à la scène. Une main pudique esquisse à peine un ultime petit coucou pendant les saluts… Voilà une basse qui s’en va, une basse qui fit peut-être plus qu’à son tour honneur au répertoire français, un artiste que l’on applaudit sans compter, un timbre qu’assurément l’on n’oubliera pas.

Enfin, le couple mythologique est fort bien servi par deux voix d’envergure qui, comme l’ensemble du plateau, d’ailleurs, arborent une diction remarquable, quand bien même ces gosiers ne seraient pas né par chez nous (ce qui s’avère d’autant plus louable). Et si nous signalions au lecteur quelque effort à fournir en ce domaine par Aleksandrs Antonenko en Don José [lire notre critique du DVD], le ténor letton (dont l’Othello triomphait l’an dernier à l’Opéra Bastille) livre un Samson parfaitement « dit ». On ne résumera pas là les qualités de ce chanteur : la phrase est toujours élégamment menée, distribuant une lumière étonnante sur toute la tessiture, avec un aigu étincelant. La belle traitresse, c’est Małgorzata Walewska, puissant mezzo-soprano polonais qui se trouve tout à son aise dans l’opulence lyrique du rôle. La chaleur du timbre, son expressivité suave et sa fine intelligence dramatique engendre une convainquante Dalila.

Un mais, cependant.
Pour posséder les moyens requis, ces voix peinent à assumer les tempi assoupis qu’impose Michel Plasson. Certes, le style est délicat, la sonorité gracieuse, la couleur soigneusement travaillée et la nuance d’une indicible distinction, mais à trop prendre le temps de finasser si bien d’indéniables joliesses, le chef étire la représentation plus que de raison et met en danger tout le plateau vocal : reprises malencontreuses du souffle, vocalises poussives qui durcissent, tremblements involontaires en fin de phrase, colossales concentrations d’énergie, sont autant de plaisirs auxquels l’expose la fosse – Orchestre de la Suisse Romande, par ailleurs irréprochable (oublions quelques incidents de cuivres). Autre réserve : le Chœur du Grand Théâtre n’offre pas une prestation pleinement satisfaisante.

BB