Chroniques

par laurent bergnach

Giacomo Meyerbeer
Robert le Diable

2 DVD Opus Arte (2013)
OA 1106 D
Giacomo Meyerbeer | Robert le Diable

Après avoir œuvré pour Munich (Jephthas Gelübde, son tout premier opéra, en 1812), Stuttgart, Padoue, Turin, et au terme d’une série de melodrama serio (L'esule di Granata, 1822), semiserio (Margherita d'Anjou, 1820) et eroico (Emma di Resburgo, 1819 ; Il crociato in Egitto, 1824) pour Milan et Venise, l’Allemand Jakob Liebmann Meyer Beer, dit Giacomo Meyerbeer (1791-1864) débute sa collaboration avec Paris, ville où il décide de suivre son « maître » Rossini et trouve la protection de Cherubini, alors directeur du Conservatoire. Il adapte tout d’abord son ouvrage consacré à l’héroïne de la guerre des Deux-Roses (1826) avant d’entamer une collaboration fructueuse avec Eugène Scribe – qui cosigne ici avec Germain Delavigne.

Modèle du « grand opéra » tragico-historique avec La muette de Portici (1828) et Guillaume Tell (1829), Robert le Diable s’inspire librement d’une légende médiévale dont les différentes variantes présentent le fils de la duchesse de Normandie et de Satan, adolescent tyrannique épris de pillage et de meurtre, qui choisit au final le repentir, notamment en combattant les Sarrasins. Dans l’opéra qui mêle pacte faustien et réminiscences gothiques anglaises, plus que diabolique le héros apparaît comme un homme amoureux, irresponsable et infantile – qui irait croire un compagnon qui le pousse à jouer aux dés en lui assurant qu’il va gagner ? –, ce qui rend possible jusqu’au dénouement le choix entre le Bien et le Mal.

Pour cause d’aléas variés (projets inaboutis, démission de commanditaire et drames personnels), l’ouvrage voit seulement le jour le 21 novembre 1831, salle Le Peletier. Il remporte un succès phénoménal. Dans les deux premières années, on recense plus de soixante théâtres à le présenter, de part et d’autre du Rhin (avec une centaine de représentations pour Marseille et Toulouse). C’est le début d’une fièvre qui va enflammer non seulement l’Europe (quatorze villes italiennes, entre 1841 et 1847) mais le monde entier (Dublin, Calcutta, la Nouvelle-Orléans, etc.).

Ouvrant des portes à Berlioz, Gounod et Offenbach, Meyerbeer est décrit par Laurent Pelly comme « un compositeur extrêmement vivant, brillant, inventif, drôle par moments, puissant, extrêmement théâtral et pas du tout ennuyeux ». En décembre 2012, à la Royale Opera House où il n’a pas été vu depuis 1890, le Français massacre un ouvrage déjà peu palpitant en jouant avec le second degré. Il fait d’Isabelle une nunuche singeant les grimaces de la femme-enfant Dessay, et du coup transforme l’énamouré Robert en nigaud ridicule. Le spectateur est tenu à distance dans un entre-deux ni sérieux ni drôle qui s’oublie dès la sortie du théâtre, avec ses décors envahissants, hétérogènes et kitsch. Un beau gâchis !

La lecture claire et alerte de Daniel Oren, veinée d’élégance et de sensualité, ainsi qu’une distribution fiable permettent d’aller au bout de trois heures et demie de spectacle. À l’aise avec notre langue comme déjà dans Les Troyens quelques mois plus tôt [lire notre critique du DVD], Bryan Hymel (Robert) est un ténor vif qui souffre parfois de nasalisations et de suraigus tendus. John Relyea (Bertram) possède des graves sonores, tandis que Marina Poplavskaïa (Alice) séduit par le chant facile, chaud et nuancé qu’elle déployait à Salzbourg, en Desdemona [lire notre critique du DVD]. La phrase de Patricia Ciofi (Isabelle) est bien menée, quoique parfois acide, et Jean-François Borras (Raimbaut) s’avère particulièrement vaillant, souple et doux. L’efficace Nicolas Courjal (Alberti) est également présent. [distribution DistrArt Musique]

LB