Chroniques

par bertrand bolognesi

Ariane et Barbe-Bleue
opéra de Paul Dukas

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 24 septembre 2007
© ruth walz | opéra national de paris

Depuis 1975, Ariane et Barbe-Bleue, l’unique opéra de Paul Dukas, n’avait plus fréquenté l’Opéra de Paris. Après les productions du Théâtre du Châtelet (Ruth Berghaus), de l’Opéra de Lyon (Patrice Caurier et Moshe Leiser) et de l’Opéra de Nice (Paul-Émile Fourny), ce conte en trois actes (ainsi dénommé par son auteur) gagne la scène de Bastille, dans une production confiée aux bons soins d’Anna Viebrock. Ingénieusement, l’artiste imagine un espace qui fait voyager l’œil et l’oreille du spectateur, ainsi soumis, lui aussi, à la recherche d’un secret.

Six pièces séparées par des cloisons et des portes de verre autorisent une déambulation progressive que chacun peut suivre durant le premier acte. Cette transparence particulière, partant qu’elle laisse tout son mystère à la septième chambre, non représentée, se fait prison plus ferme que celle gardéecachée derrière de grands murs. La lumière surveillante y devient intolérable. De l’ultime pièce – « après les diamants, c’est la flamme ou la mort » – surgiront les silhouettes pâles des captives d’un prince collectionneur, insatiable car impuissant. C’est de cette matrice informulée qu’Ariane, espionne et conquérante, fait naître des voix et des désirs, comme Mélisande, cette autre accoucheuse qui, elle aussi, traverse le drame de Maeterlinck en révélant à chacun ce qu’il est.

Pour fonctionner aisément, le dispositif surprend d’abord par son réalisme. Mais pour être poétique, une œuvre doit-elle arborer les apparences du poétique ? Le merveilleux est si banal à celles qui le côtoient chaque jour qu’il serait absurde de le figurer. L’on pensera au théâtre de Claudel qui, pour s’interroger sans cesse sur le sacré, sait voir Dieu dans le pain et se dispense de dire la messe. Que les images projetées sur la touche droite appuient l’objectivation du sinistre intérieur petit-bourgeois évoqué par le décor est plus maladroit que scandaleux : elles contraignent l’imaginaire et nuisent à la croissance des dangers.

Pourquoi ai-je eu besoin de recourir à l’adjectif scandaleux ? Parce que le public hue cette mise en scène. Que souhaite-t-il ? La reconstitution authentique – comme si ce mot était possible au théâtre ! – d’un château de tous les troubles où déambuleraient cinq vaporeuses filles d’Orlamonde ? Pourquoi refuse-t-il une proposition qui lui ouvre les portes de l’identification ? Convenons que le public soit sans doute fin connaisseur de l’univers de Maeterlinck pour rejeter d’autorité cette nouvelle production.

Dirigeant les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, Sylvain Cambreling s’avère, dès l’introduction du premier acte, tonique, délicat et pertinent. Il profite de chaque détail pour éclairer les états d’âmes secrets des personnages, plus encore que la dramaturgie dans sa globalité. Les premières mesures d’Ariane y rencontrent une rayonnante évidence. De même dessine-t-il l’Acte II dans une sinuosité dangereuse, laissant au III l’exclusive sensualité des recluses qui ne pleureront pas, Jeannette !, lorsque l’unique mâle retrouve sa maisonnée. Pourtant, le public hue également Sylvain Cambreling. Que lui reproche-t-il ? De jouer trop fort, ce qui empêche de goûter les voix, dit-il. Mais, copieusement symphonique, la partition de Dukas convoque un orchestre important dont les effets ne sont pas toujours légers. Convenons que le public, qui sait tout et bien plus encore, considère que le chef aurait dû réécrire l’œuvre.

Si l’on regrette un Chœur se montrant bien incapable de chanter intelligiblement notre langue, le plateau vocal se montre irréprochable pour ce qui est de la diction, Iwona Sobotka (Ygraine) exceptée. Ici, Jaël Azzaretti ne semblera pas avantageusement distribuée, tant sa Bellangère peine à se faire entendre ; c’est dommage lorsque qu’on connaît ses qualités. En revanche, Hélène Guilmette offre une Mélisande avantageusement timbrée dont la clarté illumine l’écoute. Quant à Diana Axentii, elle sert une Sélysette tant colorée et sonore qu’émouvante. Lulia Juon est une Nourrice attachante dotée d’un bel impact vocal. Enfin, Deborah Polaski campe une Ariane évidente au phrasé large et élégant. Parce que l’ouvrage ne leur réserve que quelques notes, nous nous contenterons de citer les trois hommes du spectacle : Yuri Kissin (un paysan), Christian Tréguier (un vieux paysan) et Willard White (Barbe-Bleue).

Trouvant de moins en moins d’endroits où s’exprimer, un certain public croit devoir le faire à l’opéra, la plupart du temps sans discernement. Certes, il profite de la présence effective des maîtres d’œuvre de ce qu’il n’a pas aimé pour vociférer, ce qu’il ne peut faire au cinéma où il voit cependant d’innombrables navets dont il ne se délecte pas – du moins souhaitons-le lui. Au spectacle vivant, il exige l’attendu, le convenu. S’il ne les rencontre pas, il braille. Ces derniers temps, ses accès se radicalisent et se multiplient. Certains hommes ont pour métier de s’exprimer : les artistes et les journalistes. Le public ne les tolèrerait-il plus ? Il semble bien qu’à Paris, l’hiver 2007 s’annonce facho ; facho, c’est très tendance. On se demande où ce public ira crier lorsqu’on aura verrouillé toutes les tribunes et muselé chaque artiste. Au Guignol ? Non, c’est trop subversif.

BB