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Chroniques
Die Meistersinger von Nürnberg
Les maîtres chanteurs de Nuremberg
Au Bayreuther Festspiele, les soirées se suivent mais ne se ressemblent pas. Après la découverte, hier, de la production actuelle de Tristan und Isolde [lire notre chronique de la veille], nous abordons aujourd’hui celle des Meistersinger von Nürnberg, donnée en création lors de cette édition 2025. Et là, en effet, rien de va plus… C’est par le biais de la comédie musicale kitch autoparodiée sur fond de critique sociale que Matthias Davids approche la verve comique et satirique de Wagner. On n’en finirait pas d’énumérer la multiplication des gags, souvent joués simultanément de part et d’autre du plateau, affirmant une vertigineuse peur du vide comme l’impossibilité notoire de simplement entendre le livret et servir les situations qu’il évoque. Sans doute ne s’agit-il plus de cela, dans cette optique post-moderne caricaturale à laquelle participent activement la vêture imaginée par Susanne Hubrich comme les décors qu’a réalisé Andrew D. Edwards, dans une esthétique qui marie la revue d’antan au cartoon. Et tout cela, mal réglé qui plus est – y compris la chorégraphie signée Simon Eichenberger –, s’avère assez pénible, vraiment, pour s’en épargner la description précise. Allons donc droit au fait : ce soir, nous n’aurons pas ri une seule fois, pas même lorsque l’église manque, par explosion, de choir de son tertre.
Que dire de la fosse… Les musiciens du Festspielorchester ne déméritent certes pas, et l’on retrouve à maintes reprises leurs qualités, mais encore aurait-il fallu qu’une baguette pensante et sensible fît quelque chose d’un si luxueux matériau. Dès l’Ouverture se laissent constater les aléas de la lecture de Daniele Gatti, une lecture qui bouscule sans cesse les tempi, pour ainsi dire à l’élastique, qui met systématiquement en avant les arrière-plans et ainsi s’en tient à un paysage dépourvu de sujet, et qui réalise l’exploit de contredire la remarquable transparence de l’acoustique de la Festspielhaus – voilà qui n’est pas donné à n’importe quel chef, tout de même. Une incohérence de plus en plus invasive caractérise cette direction qui ne propose rien.
Fort heureusement, il se trouve que Les maîtres chanteurs s’occupe aussi de chant, soit de poésie mise en musique. Et là, les voix sont requises. Aussi est-ce l’occasion de retrouver avec plaisir des artistes de grande valeur, tel Tobias Kehrer qui, d’une basse placide et puissante, campe un Nachtwächter de bon aloi [lire nos chroniques de Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna, Ariadne auf Naxos, Der Rosenkavalier, Lady Macbeth de Mzensk, Das Rheingold, Die Walküre par Götz Friedrich puis Stefan Herheim, Siegfried à Berlin, et enfin de Parsifal à Berlin puis ici-même]. Il en va de même de l’excellent Jongmin Park dont le phrasé solennel offre l’avantage d’un luxueux confort d’écoute en Pogner, par-delà un personnage quelque peu monolithique [lire nos chroniques de Die Meistersinger von Nürnberg, Siegfried à Madrid et Der Freischütz].
Tous les maîtres sont parfaitement distribués, faisant applaudir Patrick Zielke en Foltz [lire notre chronique de La resurrezione], Tijl Faveyts en Schwarts [lire nos chroniques de La fanciulla del West, Der Schatzgräber, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, Intolleranza 1960 et Brodeck], Gideon Poppe en Moser, Alexander Grassauer en Ortel (superbe Melot la veille), Matthew Newlin en Eisslinger [lire nos chroniques d’Eliogabalo, Don Giovanni et Boris Godounov], Daniel Jenz en Zorn [lire notre chronique d’Animal Farm], Marek Reichert en Nachtigal, le ferme Martin Koch en Vogelgesang [lire nos chroniques de Wozzeck et de Die Soldaten à Wiesbaden, Cologne et Paris] et enfin Jordan Shanahan en Kothner efficace [lire nos chroniques de Das Schloß Dürande, Rigoletto, Senza sangue et Götterdämmerung].
Les six personnages de tête ne sont pas en reste. À commencer par le mezzo velouté et charnu de Christa Mayer, qui prête à Magdalene une musicalité probante [lire nos chroniques de Die tote Stadt, Siegfried à Lucerne, Daphne, Der fliegende Holländer, Pelléas et Mélisande, Les Troyens, Otello, enfin de Das Rheingold et Die Walküre il y a trois étés au Bayreuther Festspiele où elle était une remarquable Fricka]. C’est un pur bonheur d’entendre l’Eva généreuse et vaillante de Christina Nilsson, dotée de la clarté vocale idéale et du format requis. Nous ne saurions en dire autant d’Ya-Chung Huang qui, pour indéniablement posséder la tessiture de David et une maîtrise technique hors de doute, offre à l’apprenti un timbre acide plutôt déroutant. Aujourd’hui souffrant, Georg Zeppenfeld, admiré en Sachs à Budapest ainsi que dans nombre d’incarnations wagnériennes qui toutes enchantèrent, joue le rôle en scène quand Nicholas Brownlee le chante au pupitre à sa place : d’une couleur qui paraît plus baryton que basse, le chanteur étatsunien livre un Hans Sachs de bon aloi [lire nos chroniques d’Alcina et de Macbet] qui fait aisément oublier la déception première à l’annonce de ce semi-remplacement. Et c’est à Michael Spyres que revient la partie du candidat Walther von Stolzing : n’hésitant pas à cultiver une légèreté salutaire à son chant, le baryténor négocie adroitement les difficultés du rôle avec une agilité qui confère au naturel. Enfin, saluons les voix du Festspielchor pour leur belle prestation, préparée par Thomas Eitler de Lint.
BB